Luc FIVET, Anonyme, Ver à Soie, 2018, 160 p., 18€, ISBN : 979-10-92364-30-9
Dans Anonyme, le narrateur est comptable. Vit sa vie confortablement, avec une sorte de tiédeur sans excès, dans un appartement qui lui appartient. Aime visionner Manhattan de Woody Allen ou tenter de lire Soljenitsyne. Il voit sa petite amie Catherine durant les week-ends et leur entente semble au beau fixe. Mais ça, c’était avant qu’un soir, un type, vautré devant sa porte, ne lui réclame un euro. Notre comptable obtempère, conscient que c’est la crise pour tout le monde, sans savoir qu’il vient de mettre le doigt dans un engrenage fatal. Car celui qui a l’apparence d’un SDF prend sa suite dans le couloir de l’appartement, sous prétexte de l’aider. Son premier coup de main consiste à réclamer un euro supplémentaire à son hôte pour lui donner accès à l’étage. Et un de rab pour qu’il prenne sa douche. Comment dès lors se débarrasser d’un type qui a réponse à toutes vos parades, y compris en présence de la police ? Que devient votre existence agréable et rangée quand chaque geste banal fait au quotidien l’objet d’une tractation en monnaie sonnante et trébuchante et qu’un inconnu, non content de vous racketter, squatte votre appartement ? Que peut-il arriver le jour où vous n’avez plus de change pour alimenter cet arrangement auquel on vous a contraint ?
Dans cette farce ultra-noire quasiment en huis-clos, Luc Fivet ne se prive pas d’afficher une férocité à canines aiguisées, n’épargnant ni son héros aboulique qui se laisse aspirer dans une spirale de l’absurde ni les parvenus beaufs qui le parasitent jusqu’au trognon. Mais ne serions nous pas tous un peu responsables d’une paupérisation (plus ou moins latente) qui nous englue et pourrait nous faire basculer ? N’apportons-nous pas notre grain de sel dans La Crise qui se propage, ne serait-ce que dans les médias ? Rions-en à grands fracas, mais rions-en jaune !
Et si ce roman qui grattouille là où ça fait mal vous a plu, n’hésitez pas à plonger dans davantage de satire corsée en jetant un œil sur la série Inside n°9 des scénaristes et comédiens britanniques Steve Pemberton et Reece Shearsmith : l’épisode 3 de la saison 1, Tom & Gerri, débute sur des rails assez similaires à Anonyme mais opère un twist différent et tout aussi grinçant.
Anne-Lise Remacle