Charles MANIAN, Les meilleurs morceaux du mammouth, Cerisier, 2018, 160 p., 12 €, ISBN : 978-2-87267-211-0
Jamais explicitement nommée, mais bien identifiable dès les premières lignes, la Ville de Liège est au centre de ce roman noir de Charles Manian où règne un climat d’insurrection. Les meilleurs morceaux du mammouth nous place aux côtés du Bourgmestre, un certain Eddy (toute ressemblance …) qui teste sa popularité en faisant à pied le trajet qui sépare son bureau d’une supérette à inaugurer. Il a fort à faire avec les passants qui l’arrêtent, l’assaillant de demandes ou de récriminations. Discrète à ses côtés, la police l’accompagne et intervient pour écarter les importuns. Tendue, la situation est en permanence à deux doigts de dégénérer.
Quand l’émeute éclate en marge de l’inauguration, des armes sont utilisées contre les forces de l’ordre. Il n’en faut pas plus pour susciter une colère sans mesure des policiers qui ont juré de venger les leurs tombés sous les balles. Et pour atteindre cet objectif, le commissaire de zone est prêt à déployer tout son savoir-faire, quitte à brûler ses indicateurs habituels. Fini de fermer les yeux sur les petits trafics, sur les cultures de cannabis et les privautés consenties. Le temps est aux règlements de comptes, le suspect fournisseur des kalachnikovs, qui se croyait à l’abri derrière son petit commerce avec pignon sur rue, va payer et cracher le morceau ! Encore faut-il des indices et des preuves, ce qui est autre chose …
La farce est évidente, et le récit grince de rage contre les puissants et leurs combines sordides. Ici, le pouvoir n’assure pas, il a peur et sème la peur. La police qui est à ses ordres ne fait pas dans la dentelle, les rebelles sont noyautés et intimidés, leurs leaders visibles et populaires ne sont pas inquiétés tandis que les communs des mortels trinquent. Les plus fort se taillent les meilleurs morceaux du mammouth et se planquent dans des bunkers, les poches pleines des dessous de table dont sont assorties leurs faveurs distribuées. Sans parler des rivalités entre décideurs qui nous valent quelques épisodes plus surréalistes encore.
Charles Manian avait déjà donné deux romans publiés eux aussi aux éditions du Cerisier, Le fil noir (1998) et Carré blanc sur fil noir (2002), dans lesquels il disait déjà son dégoût de l’injustice et dénonçait les désordres mondiaux. Si l’on a peine cette fois à prendre quoi que ce soit au sérieux (mais tel n’est apparemment pas le but de ce roman), les lecteurs qui connaissent bien la cité ardente se plairont à circuler dans la ville toutes sirènes hurlantes, à passer les ponts, à arpenter les collines et les ruelles étroites. Ils y retrouveront une part de l’esprit de fronde bien liégeois qui, dans ce vaudeville sombre aux accents d’apocalypse, fait la part belle aux dialogues truculents et multiplie les allusions croustillantes à une actualité elle bien réelle.
Thierry Detienne