Un unisson improbable et poignant

Catherine BLANJEAN, Liu Xia. Lettres à une femme interdite, Éditions François Bourin, 2018, 144 p., 16 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 979-1025204054

Écrire à quelqu’un qu’on ne connaît pas, qu’on ne rencontrera probablement jamais, mais dont la pensée vous habite, dont l’existence recluse, étroitement surveillée, au bout du monde, vous hante.

Son nom ? Liu Xia, artiste, poète, photographe, assignée à résidence dans son appartement à Pékin, depuis bientôt dix ans.

Son crime ? Être l’épouse de Liu Xiaobo, intellectuel engagé dans un combat – toujours pacifique – en faveur de la démocratie dans son pays (même si elle ne participe pas à ses engagements politiques), condamné en 2009 à onze ans de détention, qui a reçu en prison le prix Nobel de la Paix, l’an 2010.

Catherine Blanjean, « petite provinciale belge », musicienne et comédienne, à qui un ami avait parlé du cas de Liu Xia, a ressenti, depuis sa « campagne à betteraves », l’élan, la nécessité de chercher sa trace ; d’imaginer sa vie confinée, isolée, réduite au silence. D’éprouver ce que c’est d’être « privée de sa voix, de son amour, de ses amitiés, de sa vie ».

En s’imprégnant de ses poèmes, qui ont immédiatement, profondément résonné en elle. De ses photographies, « toutes en noir et blanc, et toutes en forme de cri. Cris intenses, mais étouffés, muets ».

En s’appuyant sur des livres l’éclairant sur la Chine contemporaine ; des articles consacrés au couple Liu.

En s’entretenant avec des spécialistes telle la sinologue et traductrice Marie Holzman, qui alerte inlassablement les responsables politiques français et l’opinion publique sur les violations des droits de l’homme en Chine.

En recueillant le témoignage de rares personnes qui ont connu Liu Xia. À Paris, le sinologue Jean-Philippe Béja, qui a fréquenté à Pékin Xia et Xiaobo et lui trace d’elle un portrait chaleureux, la présentant comme essentiellement « atypique », évoquant un détail, une anecdote sensibles. « Ce sont ces petites touches répétées, impressionnistes, qui finissent par nous donner l’impression de connaître quelqu’un ». Liao Yiwu, ami de longue date du couple, auteur de Dans l’empire des ténèbres, emprisonné des années, qui vit aujourd’hui en exil à Berlin, et a préfacé ces Lettres à une femme interdite.

Alors, un jour de mars 2017, Catherine Blanjean se lance dans cette correspondance à sens unique, qu’elle nous livre aujourd’hui. Pour briser le silence. Fendre le carcan de l’isolement sans fin. Garder Liu Xia présente parmi nous.

Des lettres toutes simples, confiantes, attentives au décor quotidien. « Que vois-tu par ta fenêtre ? Es-tu en ville ? Vois-tu passer des gens ? Voler des oiseaux ? Courir des nuages ? »

Plus loin, elle s’émeut de sa proximité avec les poèmes de Liu Xia : « Je suis entrée de plain-pied dans tes mots, comme s’ils avaient été écrits pour moi, dans ma langue intime ».

En juillet 2017, on apprend la mort de Xiaobo, des suites d’une longue maladie. « Xia, Je ne peux imaginer ta douleur. Je ne peux m’empêcher d’imaginer ta douleur. »

Incarcéré dès après les événements tragiques de Tian’anmen, qu’il a vécus avec Xia, ce qui les a profondément liés, Xiaobo, empêché de diffuser ses écrits politiques, avait continué de lui écrire des poèmes d’amour. Leur dialogue poétique se poursuivrait « à travers les années et les murs des prisons ».

S’il est vain d’espérer s’identifier à une inconnue mystérieusement proche, Catherine Blanjean peut lui écrire dans sa dernière lettre, au mois d’octobre 2017 : «  J’ai eu envie de saisir ton cri au vol, non pour l’arrêter, mais pour le propager, le partager, dire quels échos il éveille ».

Et voici que, comme un magnifique épilogue, la presse annonce, en juillet 2018, que Liu Xia, à bout de forces, a été autorisée à quitter la Chine, grâce à l’insistance d’Angela Merkel, pour rallier l’Allemagne et y suivre un traitement médical.

Une libération bouleversante, dont on veut croire qu’elle n’est pas trop tardive…

Francine Ghysen