Ellos y Nosotros

Un coup de cœur du Carnet

Simon VANSTEENWINCKEL, Nosotros, Yellow Now, 2018, 176 p., 25€, ISBN : 9782873404376

Qui n’a jamais frémi au retour d’amis partis en famille, non pas de plaisir devant leur bouille (in)changée, mais bien d’appréhension à la perspective de la soirée photos-souvenirs-il-faut-qu’on-te-raconte qui peut s’ensuivre ? Un ennui attendri au mieux (un désintérêt patent au pire) point vite lors de ces déballages pelliculaires. Simon Vansteenwinckel, lui aussi, a voyagé ; lui aussi, avec sa tribu ; et, lui aussi, est revenu avec des clichés… Mais ici, on frissonne d’admiration et d’émotion face à ses prises argentiques réunies dans l’ouvrage Nosotros.

Nosotros, c’est la narration photographique d’un projet familial : découvrir le pays de Carolina Bello-Andrade, la maman du clan, en traversant pendant plusieurs mois les terres qu’elle a quittées deux ans après son premier cri, et qu’elle n’avait foulées que par deux fois depuis. Cette bande qui lui fait monter les larmes aux yeux quand elle en survole une des frontières naturelles, la Cordillera de los Andes, c’est le Chili.

S’il est incontestable que chaque territoire terrestre, chaque jardín humano (pour reprendre les paroles intenses de la magnifique Violeta Parra), recèle ses beautés et ses particularités, le Chili écrase par ses singularités, ses mystères et ses contrastes. Bordé par le Pacifique, il tremble quotidiennement. Ces soubresauts font affleurer la générosité de la nature aussi époustouflante qu’hostile (du désert désespérément aride aux glaciers australement stupéfiants) ; l’ébullition de l’indéracinable Abya Yala (Mapuche, Aymaras, Quechuas, Atacameños et autres peuples indigènes en attestent fièrement) ; la noirceur de l’histoire hantée par les « disparus » et gangrenée par la peur ; la pulsation sonore, poétique et graphique des artistes portant la contestation contre une société parfois rétrograde ; l’énergie vive, fluide, inaltérable d’un pays connecté à une Terre gorgée de secrets et à un Ciel étourdi d’étoiles. Chile. La moitié d’Anna, de Clara et d’Elena, trois filles dont l’ADN est pétri de réalisme magique austral et de surréalisme nordique…

Les visages des grands-parents maternels comme point de départ du livre et du voyage. Ensuite, une ligne d’autres vignettes figeant un drapeau sans mouvement, le buste d’un Moaï près d’un bateau aux voiles gonflées, les trois filles, et Carolina qui arbore un cadre d’Allende et un autre de sa famille avant l’exil. Puis un texte, français-espagnol, balisant les perspectives du départ. Et très rapidement, les premiers kilomètres avalés dans ce van immatriculé CK-82.93, qui en parcourra des milliers d’autres, dans un inconnu en quête du familier.

Paysages urbains, lunaires, désertiques, aquatiques, folkloriques, amples, oubliés, intérieurs. L’homogénéité du sentiment claque aux yeux : outre le grain mat en noir et blanc, l’atmosphère « en mouvement » densifie le propos et la perception. Les lignes sont infinies et, dans le même temps, composées. Les humains, quand ils sont présents, amènent de la rondeur dans le rocailleux, de la fragilité dans l’immensité, de la réverbération dans la soledad, du contact dans l’absence. Ils sourient, se taisent, nagent, observent, se touchent, toisent, marchent, fument, conduisent, jouent, photographient. Ils sont en oscillation, en relation, en vie.

Clara a écrit en postface : « J’ai toujours rêvé d’un voyage fabuleux. Ce rêve s’est réalisé pendant ce voyage. » Merci à son papa, Simon Vansteenwinckel, de nous avoir embarqués en décalage dans leur périple ; lorsque l’intime épouse les dimensions de l’univers, le langage des images résonne en chacun. Ellos y Nosostros.

Samia Hammami