Gabriel RINGLET, La grâce des jours uniques. Éloge de la célébration, Albin Michel, 2018, 220 p., 18€ / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-226-43747-1
Le besoin de rituel est inscrit au cœur de l’humain, fût-ce sous la forme du café du matin, préparé au Bodum, au percolateur ou à l’italienne, servi long ou serré, avec ou sans sucre, noir ou au lait, dans telle tasse, toutes choses que le lieutenant Estalère (dans les romans policiers de Fred Vargas) connaît sur le bout des doigts, compétence grâce à laquelle il participe puissamment à la liturgie des réunions plénières de l’équipe du commissaire Adamsberg. Le rituel quotidien, avec la suite et la fuite des jours, a été magnifié par Colette Nys-Mazure, dans son beau recueil Célébration du quotidien, préfacé par Gabriel Ringlet.
Et puis, il y a les jours uniques dont la célébration fait l’objet du nouveau livre de Gabriel Ringlet.
Ces jours uniques, quels sont-ils ?
Il y a les jours de grisaille, le jour unique de la mort de celui qui part – le jour unique du deuil de ceux qui restent.
Et parfois, celui qui part est un bébé mort-né…
Et parfois celui qui part est un enfant de dix ans, allé de nuit se pendre dans la cour de son école…
En ces jours uniques, en ces moments d’exception, l’enjeu n’est pas de faire joli mais d’essayer, avec beaucoup de modestie et de délicatesse, de « déposer un trait de lumière dans tout ce noir ». C’est ainsi que la paille répandue dans l’église lors des funérailles d’une jeune fille passionnée de chevaux devient la paille de la crèche.
Il arrive aussi que ces jours uniques deviennent, par la force des choses, des jours quotidiens car une fin de vie, une longue et pénible maladie – suivant l’expression consacrée – s’inscrivent souvent dans la durée, et quelque geste ou intention que l’on puisse trouver pour les sublimer, le lecteur n’est pas à l’abri d’un ressenti mitigé à l’égard des harpes, cymbales et bols chantants car la souffrance reste la souffrance ; elle n’est pas belle et sans doute pas soluble dans la beauté.
La deuxième partie du livre est consacrée à la célébration des « jours saints », soit, en l’occurrence, les jours de la semaine sainte : jeudi, vendredi et veillée pascale, tels qu’ils sont vécus au prieuré de Malèves-Sainte-Marie. L’arrière-fond de ces messes parlera peut-être davantage, ou plutôt de manière plus immédiate, aux chrétiens mais toute autre personne aurait tort de se priver de lire le récit de ces célébrations car il y rencontrera Arthur Haulot, François Troukens, Bouli Lanners, Jean-Pierre Améris, Magda Hollander, Armel Job, Jean-Philippe de Tonnac, Karima Berger.
Un jeudi saint, les quatre petits bouts de pain moisi qui ont maintenu Magda Hollander en vie à Birkenau deviennent le pain eucharistique ; une autre fois, ce sont les pains pétris et façonnés par Jean-Philippe de Tonnac et les extraits de son livre Azyme qui soutendent la liturgie, avec une inoubliable onction de parfum reçue par chaque membre de l’assemblée.
Les gestes sont sobres et beaux et surtout signifiants, et je peux témoigner, pour avoir assisté à certaines de ces liturgies, que les récits du livre n’enjolivent en aucune manière ce qui est vécu de manière très intense par une assemblée nombreuse.
Ces récits-témoignages autour de la célébration des moments uniques de la vie ou de l’année liturgique ne peuvent qu’illuminer la grisaille en leur donnant sens et saveur.