Marc Wilmet a quitté le paradis

Marc Wilmet

Ce titre est inspiré par l’ultime ouvrage du philosophe Clément Rosset, L’endroit du paradis, publié en 2018 un mois après sa mort. Rosset était né à Carteret, souvent et avec ferveur fréquenté par Marc, Anne-Rosine et Margot ; Marc a rencontré une seule fois Rosset, à Nice, tout en ignorant son lieu de naissance, que je lui ai révélé ; le philosophe l’avait longuement entretenu de Hergé.

Ici-bas se trouvait le paradis de Marc, le vrai, le seul : sa femme, sa fille, ses livres ; comment retenir ses sanglots face à celui qui vient de quitter le paradis ?

Qui fut cet homme ?  Professeur de linguistique à l’ULB, il fut notre maître, celui de ma femme et le mien. Il devint notre ami. Le 15 novembre, son successeur, Dan Van Raemdonck, lui a rendu un hommage vibrant des plus bouleversants.  Voici, modestement, le mien, plus anecdotique sans doute, mais que je crois éclairant.  Auparavant, deux mots : pour dire le Marc Wilmet brassensophile devenu « lézard universitaire » (la perfidie est de Giono) pour consacrer deux livres à l’auteur du « 22 septembre ».  Deux mots pour dire le savant amoureux du vélo qui n’ignorait rien des braquets et des pignons ; deux mots pour dire le pourfendeur des idées reçues (l’incurable sottise de « L’exception confirme la règle », comme si on pouvait affirmer que « Un triangle a trois côtés, sauf exception ») ; deux mots pour dire le piquant gausseur de la cacographie de l’orthographe inclusive ; deux mots pour dire le savant amoureux des chats.  Place aux anecdotes.

Les années 50.  Athénée de Koekelberg. Cours de français de M. Fauconnier. Un adolescent conteste l’une de ses observations. M. Fauconnier : « Monsieur Wilmet, quand vous serez un grand grammairien, nous en reparlerons. »  Marc Wilmet fut, est, sera définitivement un grand grammairien.  Octobre 1959.  Professeur novice en stage dans l’enseignement secondaire, Marc Wilmet s’adresse à des élèves de 13-14 ans. Leçon sur la concurrence indicatif / subjonctif. Le manuel utilisé précise : l’indicatif est le mode de la certitude, le subjonctif celui du doute, et propose, entre autres, deux exemples : « J’espère que mon frère réussira l’examen » (belle certitude !) « Je regrette que mon frère ait échoué à l’examen » (drôle de doute !).  Le futur grammairien se promet de ne jamais proférer ce qu’il sait être faux.

Adieu, Marc.  Je suis triste comme un saule.

Pol Charles