Ben DURANT, Le royaume des Pictes, photographies de Daniel Suy, Quadri, 2018, 92 p., 25 €
À découvrir la couverture du Royaume des Pictes, le lecteur se dit qu’il aborde une écriture privilégiant l’esthétique mâle, où une virilité tout en pectoraux et tablettes de chocolat s’affirme avec une quiète détermination. Puis il aborde avec un plaisir curieux cette narration excentrée – car si le je s’y exprime majoritairement, les premières pages sont écrites à une troisième personne qui réaffleure ici et là par la suite, on ne sait si c’est par mégarde ou volontairement – et se frotte à son narrateur dispendieux, un brin trop sûr de soi, bref un viveur, ce qui aura donc tout pour déplaire à « l’homme moyen ».
Fils unique ayant hérité de la fortune de parents opportunément déchiquetés dans les attentats de l’aéroport de Zaventem, le fringant trentenaire Adam a ouvert une florissante boîte de communication, baptisée… « Bingo ! ». Quand il n’est pas au bureau, c’est-à-dire la plupart du temps, le dandy moderne court les antiquaires et rencontre un, ou plutôt son, libraire d’anciens, qui lui fournit à prix d’or les ouvrages reliés en maroquin dont il est friand ; en particulier les relations de voyage, telle celle de James Cook, en édition originale. Pourquoi regarder à la dépense quand on peut s’offrir le luxe suprême de se désintéresser de l’état de son compte en banque ?
Voici donc un individu doté d’une arrogante baraka et qui, de surcroît, n’est pas moins convaincu de son potentiel de séduction auprès de ces dames. Un beau jour – aux nantis, est-il autre chose que de beaux jours? –, alors qu’il s’est retiré modestement pour les vacances dans la villa qu’il loue dans l’arrière-pays cannois, son chemin croise celui de Marie-Noëlle de Presle de Trinquetaille, « verte et sublime garce » préférant à son kilométrique patronyme l’usage du pseudo qu’elle s’est choisi pour les intimes, « Givenchy ». On peut comprendre.
Comment résister à une femme qui ose vous décocher : « Vous mariez un look de farouche sauvage avec la culture d’un Jean d’Ormesson », puis vous reproche de vous être rasé le crâne, sous prétexte qu’« on voit trop clairement tourner les rouages de votre cerveau » ? Une flûte de Veuve Clicquot, puis direction la thébaïde où l’émoi naît, l’intimité se crée, le lien se noue. Et l’alchimie passionnelle de déboucher sur une proposition, lancée avec un désarmant naturel, de sodomie.
Au-delà du plaisir, effréné cela va sans dire, qui unit ces deux êtres hors norme, et de la passion qui les anime, décèle-t-on de l’amour, un projet de vie commune ? Une conversation autour du putatif choix du nom pour l’enfant qui pourrait venir le laisse entendre. Mais voilà, « Badaboum. Ainsi pourrait-on qualifier la suite de notre histoire, au mieux de banale, au pire de quelconque. » C’est la rupture, bête et brutale. Une coucherie avec une insipide collègue permettra d’oublier celle que hier encore on rebaptisait Salammbô.
Et les Pictes dans tout ça, me direz-vous ? Mieux vaut laisser au lecteur le soin de découvrir dans les dernières pages ce qui convoque cette brave peuplade porteuse de kilts, de tatouages et de troncs dans une histoire où prédominaient jusque-là les Maoris. Ainsi que celui de s’interroger sur la possible nasalisation de la première syllabe du nom de l’auteur comme clef d’explication définitive à ce roman insolent et drolatique.