Une biographie est toujours un roman

Patrick WEBER, Maggie, une vie pour en finir, Plon, 2018, 396 p., 13.90€ / ePub : 13.99 €, ISBN : 978-2-25925-155-6

En exergue de Maggie, Patrick Weber indique : « une biographie est toujours un roman ». À la fois historien, romancier et scénariste de bandes dessinées, l’auteur des Noces assassines est familier de ce paradoxe résumé dans une formule fulgurante par Aragon : le « mentir-vrai ». Le poète évoquait par cet oxymore que la vérité toujours complexe, s’exprime davantage dans l’invention romanesque que dans le compte-rendu objectif – impossible – des faits.

L’historien Patrick Weber ouvre le livre en décrivant le voyage qu’il fait au lieu même des racines de son personnage, Maggie, sa grand-mère « qui ne lira jamais ce livre ». Dans la ville de Manchester, le fantôme de celle qui a hanté son enfance est partout et nulle part. Arrivé à la moitié de sa vie, le romancier se décide à monter sur la scène du « théâtre de sa légende familiale ».

Dans ce roman-récit, le journaliste Weber a joué bien sûr un rôle, mais c’est essentiellement le raconteur d’histoire qui se manifeste ici. Et il le fait d’autant plus qu’il adopte le « je » pour raconter – et comprendre ?- le destin de cette femme née quatre années avant le siècle des deux guerres, et qui devient, sous la plume de son petit-fils, l’incarnation du destin partagé par une génération de femmes, placées au cœur battant des dévastations de l’Histoire.

 
 

Patrick Weber a préparé, avec les outils d’investigation et d’enquête du journaliste, les balises d’un destin que, romancier, il racontera au fil des lieux (Altrincham, Manchester, Bruxelles, mais aussi Dilbeek où s’achèvera la vie de Maggie et, d’une certaine manière, commencera celle de Patrick-Charles Wéber), des épisodes de l’Histoire, et des personnages qui constitueront l’histoire familiale, et ses secrets, dont il est issu.

Le récit s’inscrit dans l’histoire européenne du XXe siècle, de la succession des guerres (la grande, la deuxième et la froide… mais s’agit-il de trois guerres différentes ou d’une seule ?) Pour Maggie, elle signifiera la rencontre en 1915 avec celui qui bouleversera sa vie et s’arrêtera en octobre 1960 lorsqu’elle mourra « de chagrin ». C’est de cette manière qu’on évoquera la mort de Maggie au petit Patrick-Charles lorsqu’il interrogera ses parents, dix ans plus tard.

Entre ces deux dates, 1914 et 1960, le romancier nous raconte le destin de Maggie à la première personne. C’est ce qui rend ce livre si attachant, et fait du récit un roman sensible, émouvant et intime. Choisir le « je », signifie pour Patrick Weber d’entreprendre une exploration fusionnelle de celle qu’il n’a jamais connue et dont il ne savait que ce que la légende avait conservé d’elle, cette légende qui débute dans un hôpital anglais à Altrinchan. C’est là que Maggie, infirmière, rencontre Joseph Aerts, soldat belge blessé à Raemdonck dès le début du conflit, en septembre 1914.

À partir de cette rencontre fondatrice, Patrick Weber écrit davantage qu’un récit ou un roman. Il entreprend une œuvre de résilience qui le conduira, d’épisode en épisode, chacun vécu du point de vue de Maggie, jusqu’à son suicide un jour d’octobre 1960.

Le choc que provoqua cette tragédie, déclenchera le destin de celui qui, plus d’un demi-siècle plus tard, signera le roman Maggie d’un émouvant « Merci, Granny ».

Jean Jauniaux