Appuyez sur pause

Hélène GOFFART, Entre deux temps, Éditions Sarah Arcane, 2018, 202 p., 14 € / ePub : 2.99 €, ISBN : 9791093889351

Imaginez-vous un instant : vous vous trouvez dans une situation difficile, vous êtes en retard à un rendez-vous, vous n’avez pas eu le temps de finir un travail important, vous voulez percer les secrets de quelqu’un… et là, vous bloquez le temps. L’aiguille s’arrête de tourner, les voitures d’avancer, les gens de parler, les oiseaux de piailler, l’eau de clapoter, le vent de souffler… Tout est figé, sauf vous. Vous êtes maître.sse du temps. Vous pouvez l’utiliser comme bon vous semble et le réactiver à tout moment. Alors, convaincu.e.s ?

Nathan s’est vu attribuer ce « super » pouvoir, mais les choses ont mal tourné. Le début du roman d’Hélène Goffart montre le jeune garçon prisonnier du temps. Il tombe dans les escaliers et se fracture méchamment la cheville. Il arrive tant bien que mal à se redresser et à rejoindre la pharmacie la plus proche. Il fait nuit. Et froid. Nathan est seul dans les rues. Le reste du monde est immobile. Nat semble coincé dans cet entre-deux-temps. Il n’a plus vu personne depuis des mois, voire des années. Il est sale et mal en point. Que lui est-il arrivé ?

Enfant timide et solitaire, Nathan a énormément souffert des brimades de ses camarades d’école. Plus d’une fois, il a espéré que le monde s’arrête. Mais rien ne s’est passé. Mal à l’aise en société, Nat s’est réfugié dans les études où il brille particulièrement. Il a voulu apprendre le piano, non pour en faire un passe-temps, mais pour devenir un grand pianiste. Sûr de lui, il a confessé son rêve à son professeur de piano, un homme dédaigneux et mesquin, qui a trouvé son idée risible. Ce jour-là, âgé de dix ans, Nathan a découvert le pouvoir du « bang ». Mort de peur de jouer un morceau jamais déchiffré et de se faire railler par son professeur, il a pensé si fort arrêter le temps que celui-ci s’est stoppé net. À partir de ce jour-là, Nat utilise son pouvoir dès qu’il le souhaite : pour répéter davantage son piano, vérifier ses réponses lors des interrogations ou encore, lorsque la puberté fait son apparition, se faufiler dans le vestiaire des filles et les contempler. Nat découvre aussi les effets pervers du bang. Dans l’entre-deux, il a vieilli beaucoup plus vite. De même, tout ce qu’il touche – hommes comme animaux – meurt. Il en fait la triste expérience avec son chien et recommence par la suite. Un matin, Nat se réveille, alors qu’il fait encore nuit, et trouve le monde arrêté, sans pourtant l’avoir demandé. Il essaie de stopper le bang, en vain. Il reste alors, dans la maison familiale, pour veiller ses parents et attendre que tout redevienne comme avant. Il sort pour s’approvisionner, visiter les maisons voisines à la recherche d’eau chaude ou de livres. La solitude, le froid, l’obscurité permanente, les odeurs de putréfaction et même certaines pulsions animales se font de plus en plus présentes et pressantes. Comment ne pas devenir fou quand on n’a plus que son propre reflet à qui parler ?

Dans l’officine, Nat rencontre une vieille dame de quatre-vingt ans, Lise. Qui est-elle ? Pourquoi n’est-elle pas figée comme les autres ? Elle lui raconte ses (més)aventures et lui apporte certaines réponses. Comment ont-ils attrapé ce pouvoir ? Pourquoi sont-ils tous les deux prisonniers du temps ? Le récit de la vieille dame ne laisse pas Nat indifférent, voire provoque de terribles conséquences…

Hélène Goffart embarque le lecteur dans un roman de science-fiction très sombre. D’une écriture fluide et tranchée à la fois, l’auteure nous tient en haleine, dans une ambiance parfois des plus malsaines ou angoissantes. Même si quelques éléments nous ont semblé prévisibles, ce roman d’aventures science-fictionnelles nous fait voyager de Belgique à Shangai, en passant par Marseille, le cosmos et l’entre-deux, ce temps suspendu où tout semble possible, mais où tout peut basculer à tout moment. Hélène Goffart met également à jour une solitude tellement inévitable qu’elle en devient dangereuse et glaçante.