L’odyssée poético-politique de Jean-Louis Lippert

Jean-Louis LIPPERT, Ajiaco, CEP, 2018, 726 p., 24 €, ISBN : 978-2-39007-044-3

Aèdes, troubadours, marabouts, griots, conteurs se lèvent d’entre les morts. L’état du verbe est alors celui de la transe. Une transe visionnaire que Jean-Louis Lippert déploie dans Ajiaco au travers de son jumeau, de son double, Anatole Atlas, l’aède. Auteur entre autres de Pleine lune sur l’existence du jeune bougre, Mamiwata, Tombeau de l’aède. Césaire contre César, Jean-Louis Lippert est l’auteur de Manuscrits de la Mère Rouge, Autopsie du XXème siècle, Global viewpoint, Le Tabou de Mana, Amen… sous le nom d’Anatole Atlas, son hétéronyme. Le chant polyphonique qui se déploie dans Ajiaco se construit comme un pont tendu entre la guerre de Troie et le règne actuel d’un panoptique généralisé.

Poème du monde, théogonie/cosmogonie chamanique, Ajiaco embrasse les siècles, revenant aux origines, aux grands partages, aux points de bifurcation. Guidé par Lazare et Ève, Orphée et Eurydice, Osiris et Isis, le voyage initiatique expérimenté par Anatole Atlas convoque le lecteur à semblable voyage. Entre onirisme et visions, le barde homérique déroule une allégorie d’une mondialisation placée sous le signe de NOE, Nouvel Ordre Edénique. Sous l’œil de l’aède exilé, du barde errant, trois mille ans d’Histoire défilent.

Scribe, porte-voix de cette traversée des siècles, Anatole Atlas s’avance comme le frère de Zarathoustra, annonçant non le surhomme, mais la révolution à venir, la chute des idoles, la faillite du Veau d’Or. Descendre dans la pâte des siècles, c’est lire derrière la société du spectacle « l’histoire cachée du dernier demi-siècle ». C’est radiographier la guerre de Troie qui frappe le XXIème siècle, à savoir, entre autres conflits géo-politiques, la guerre menée à la Grèce par la troïka (CE, FMI, BCE) au service des oligarques de la finance, la mise au ban de la patrie d’Homère décrétée par les nouveaux seigneurs ayant défiguré le cosmos en un hypermarché géant quadrillé militairement. La guerre de Troie s’offre à Jean-Louis Lippert comme une matrice afin de déchiffrer le contemporain. « Aède, athlète, anachorète » branché sur les puissances invisibles, sur ce que l’Occident a muselé et refoulé, Anatole Atlas laisse résonner sa voix venue de l’au-delà, surgie des confins du canal de Bruxelles. Bruxelles, capitale de « l’alliance atlantique », plaque-tournante de la divinisation de la marchandise.

Bien sûr, l’aède est menteur comme tous les Crétois.
Ne te fie donc à rien de ce qu’il avance, ô Lecteur, son royaume exclusif étant celui du mythe ! Mais, celui-ci possède une vérité propre qui traverse les âges.
Ainsi du palladium d’Athéna, prétexte à la guerre de Troie.

Donnant voix aux vaincus, aux divinités de l’ombre, aux sorciers, Atlas crée la possibilité d’acter un bond au-delà des insurrections populaires téléguidées comme « un clip publicitaire ». Odyssée poético-politique, Jean-Louis Lippert lance dans Ajiaco une littérature-sortilège douée des pouvoirs de sauter par-delà le Guantanamo world.

Et je continue donc de vous révéler ce que vous ne pouvez entendre à l’état de veille. Là, sur ce quai désert, continuaient de résonner les sabots d’une cavalcade qui retentissait en l’aède il y a dix ans comme voici trois millénaires…