Philippe MATHY et Anne LE MAÎTRE, Îles de la Gargaude, Atelier des Noyers, coll. « Carnets de nature », 2018, 48 p., 10€, ISBN :978-2-490185-09-2

Dieu sait combien certains paysages sont propices aux promenades silencieuses, à la contemplation et à la réminiscence. Le paysage des îles de la Gargaude, modulé par la Loire, en est un. Du moins, c’est ce dont rend compte ce recueil issu de la collaboration entre le poète Philippe Mathy et l’aquarelliste Anne Le Maître, publié dans la collection « Carnets de Nature » des Éditions de l’Atelier des Noyers. Les circonstances de la rencontre entre Le Maître et Mathy, formulées à la fin de ce petit livre,participent à la douceur de l’ouvrage : fruit d’une rencontre entre l’artiste et l’écrivain au début de l’été 2017, ce livre aura mûri au fil des saisons et est offert au regard à l’automne 2018. Voilà qui tombe à point.
Qui tombe à point, car la dimension automnale des espaces paisibles et respirants délivrés au fil du recueil par les aquarelles d’Anne Le Maître est patente. Le lecteur est invité dès la première page au silence, où ne bruissent que le « passage des oiseaux » et la « traversée de lézards sur le chemin ».Si apprivoiser l’eau et la lumière est le travail même de l’aquarelliste, un mouvement semblable est à l’œuvre dans la matière même des mots de Philippe Mathy, dont les vers quittent progressivement la terre pour nous emmener « au bord de cet étang ».

Ce recueil est avant tout une invitation, adressée au lecteur et à son regard – invitation au retrait, invitation à entrer dans ce paysage et à y revenir (« Lorsque tu reviendras / je t’emmènerai / aux îles de la Gargaude »). Si les aquarelles tantôt se centrent sur un détail (ainsi de feuilles d’automne, ainsi d’un héron ou d’un martin-pêcheur) tantôt ouvrent sur une vue plus large, les poèmes de Mathy leur répondent (ainsi des « petits bateaux dépos[és] par les arbres » ou d’un « désir de ciel / qui traverse le cœur »). Alors, à l’instar de la pupille,l’être se dilate au gré de ses promenades et de ses arrêts et, ouvrant l’écoute et le regard, s’abandonne à son propre agrandissement. Là où certains chemins demeurent étroits pour le corps, l’espace en soi est toujours large :
Chemin de terre, il se rétrécit,
se transforme en sentier.
Plus on avance, plus en soi
l’espace s’élargit.
Cette opposition se retrouve également sur le plan temporel : le silence parvient à étirer le temps au point qu’« on sent[e] renaître en soi / le goût de l’espérance », même si « une enfance / aux poings toujours vifs / [le] martèle » encore… Toutefois la recherche de la lumière et de la fluidité permet d’articuler un mot ou un nom dans « [c]es ramures agitées ».
Vient pourtant le bonheur.
Il monte,
enfle au-dedans de soi,
comme si l’étang
s’y déversait.
Dieu sait combien la vie, dans ses aléas, dans sa violence parfois, n’est pas donnée, mais « vient pourtant le bonheur » : à la lecture de ce petit livre, c’est à ce pourtant que le lecteur consent.