Dave DECAT, Voyoucratie, CFC éditions, 2018, 209 p., 35 €, ISBN : 978-2-87572-037-5
Dave Decat se souvient de la fascination qu’il éprouvait, enfant, devant les tableaux où coulait le sang des martyrs. Comme sa mémoire est redoutable, il se souvient de beaucoup de choses qui ont constitué sa sensibilité, depuis l’adolescence, en suivant ce qu’il appelle « les diagonales de la fatalité » : les bandes dessinées de Moebius, Druillet et, surtout, Tardi, les magazines tels que Le Crapouillot, L’Assiette au beurre ou Détective, l’heroïc fantasy, le hard rock et le heavy metal, quelques livres comme Le Bagne, d’Albert Londres, Biribi, de Georges Darien ou Les Pégriots, d’Auguste Le Breton…
Autant de strates d’un imaginaire qui trouve son origine dans la contemplation de tableaux où apparaissent des êtres marqués par la mort, et prend forme dans la description d’hommes et de femmes marqués par la vie.
Le fort des Halles, Dominica la reine du quartier chaud d’Hambourg, Raoul le « casseur de gueules », dessinés en mille traits serrés mais légers, sur un fond coloré où domine le rouge d’une vie mise en péril, impressionnent par leur mélange de violence et de fragilité. Ils dégagent une sorte d’énergie du désespoir. Parfois ils sont saisis plein cadre, imposent totalement leur présence; parfois ils apparaissent dans une de ces rues qu’avait photographiées Atget d’une manière qui a frappé Walter Benjamin : « Dans nos villes, est-il un seul coin qui ne soit pas le lieu d’un crime, un seul passant qui ne soit pas un criminel? »
Tous les oubliés que dessine Decat sont des passants. Mais ils n’agissent pas. Ils sont figés, perplexes souvent, le regard fixe et mélancolique. Il s’agirait là, dit le dessinateur, d’une influence de Tardi « dont les personnages sont les plus statiques qui soient, immobiles devant un décor ». À nous de les remettre en mouvement, de reconstituer leur trajet : entre la rue presque déserte et le personnage saisi dans sa tristesse et son énigme, une histoire se devine, page après page, que chacun se racontera…
Thibault Carion