Franz HELLENS, Mélusine ou la robe de saphir, Postface de Paul Aron, Impressions nouvelles, coll. “Espace Nord”, 2019, 368 p., 9 €, ISBN: 978-2-87568-408-0 ; Le double et autres contes fantastiques, Postface de Michel Gilles, Impressions nouvelles, coll. “Espace Nord”, 2019, 318 p., 9 €, ISBN: 978-2-87568-410-3
Espace Nord poursuit sa politique de réédition et de réimpression de textes des « fantastiqueurs » belges avec deux titres de Franz Hellens, l’un clairement fantastique, Le double, l’autre le préfigurant, Mélusine.
Dans le vaste panorama du fantastique en Belgique, Franz Hellens occupe une place originale, d’une manière qu’il a lui-même contribué à définir, par l’idée de « fantastique réel ». Le double et autres contes fantastiques est une anthologie reprenant des nouvelles publiées en fait sur près de cinquante ans, depuis Nocturnal en 1919 jusqu’à Le dernier jour du monde en 1967. L’intérêt du choix est de pouvoir saisir l’évolution du fantastique d’Hellens ainsi que ses enjeux et manières qui ont varié.
Son fantastique part du réel pour aboutir au surnaturel. Il est également nommé « intérieur », car l’aspect fantastique vient de la perturbation qui se manifeste dans la perception du monde par les personnages. À partir de situations banales, mais où se produit une modification légère et fortuite, ces personnages vont « dériver ». Comme celui qui suit la grand route : « À peine m’y étais-je engagé et déjà égaré ! » Ils vont alors percevoir des choses inhabituelles et étranges mais qui ne sont finalement que l’émanation d’eux-mêmes.
Dans cette optique, le double est essentiel pour Hellens, car être confronté au double, c’est trouver une autre vérité à propos de soi-même, qu’il s’agisse d’une part insoupçonnée de soi ou de la confrontation à un autre semblable à soi ; et cela que cette manifestation soit « réelle » ou hallucinatoire. Si tous les contes repris ne sont pas directement centrés sur la duplication, celle-ci apparaît en filigrane dans les différents thèmes. Elle peut être aussi multiple à l’exemple de « Ce lourd silence de pierre » où le narrateur est d’abord confronté à la statue autoportrait d’un ami de jeunesse avant de rencontrer le petit-fils de celui-ci, portant le même nom. Ces deux rencontres apparaissent comme deux doubles différents du personnage.
Mais Hellens n’explore pas que les méandres du moi et de sa perception du monde. Il revisite aussi des thèmes plus classiques en les réinterprétant dans l’optique du fantastique intérieur, tel celui de la réincarnation, considérée d’un point de vue particulier, dans « La courge ».
La manière d’Hellens se caractérise par la création d’atmosphère, marquée par la lente notation des perturbations de la conscience des personnages. Cela débouche cependant souvent sur une tendance à l’hyperbole des sentiments et à l’exagération de la description des états d’esprit ; les sens exacerbés et les nerfs tendus sont des images récurrentes. Faut-il y voir le signe d’une tendance à la parodie ? Cette façon parfois ampoulée de s’exprimer peut donner à son style un aspect un peu daté.
La réimpression parallèle de Mélusine ou la robe de saphir, un des tout premiers textes, d’une esthétique différente, montre un autre aspect de l’auteur.
Le roman déconcerte. Conçu comme une « féerie fantastique », il suit une logique onirique et c’est en cela que le roman a été bien reçu par les surréalistes et par Henri Michaux. Les nombreux rêves d’Hellens durant la période de rédaction ont fourni une part substantielle du motif romanesque. C’est également un récit d’initiation, le narrateur amoureux de Mélusine découvrant par son intermédiaire des aspects insoupçonnés de la réalité et se révélant à lui-même.
Mais l’on peut être surpris par l’apparente juxtaposition d’épisodes dont la cohérence narrative ne paraît pas évidente. Cela se comprend cependant car, comme l’indique Paul Aron dans la postface, « la logique même du récit est celle de la coïncidence fortuite, de la rupture soudaine. »
Le roman est également une réinterprétation personnelle du fond légendaire du personnage de Mélusine, dont les éléments sont finement transformés.
Relire Hellens n’est peut-être pas si simple, car certains aspects de ses textes ne sont pas toujours aisés à bien comprendre aujourd’hui. Les postfaces aux deux volumes, par Paul Aron et par Michel Gilles, sont donc de très précieux outils de compréhension de la logique interne des textes et de leur place dans l’histoire littéraire.
Joseph Duhamel