Un coup de cœur du Carnet
Jacqueline DAUSSAIN, La journée mondiale de la gentillesse, Quadrature, 2018, 128 p., 16 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-930538-88-4
Voici un recueil de nouvelles brillant qui excelle à rentrer dans l’univers de gens ordinaires et à en extraire l’essentielle humanité. Au départ de ces récits assez brefs de Jacqueline Daussain, point de faits extraordinaires, mais des scènes de la vie ordinaire dont se dégage rapidement la singularité des êtres. Ici, une dame évolue chaque jour dans les couloirs et les services d’un CHU où elle se trouve bien, en entretenant l’idée qu’elle y vient au chevet d’une parente malade après y avoir accompagné son défunt mari. Là, un homme un peu perdu s’égare et s’égaie dans un carnaval avant de rejoindre le domicile conjugal où il reçoit un accueil tendre qui efface ses scrupules. Là encore, deux ex-conjoints s’écharpent, inquiets de ne pas trouver l’enfant dont ils partagent la garde. Ou encore : un père, dépassé dans la gestion de ses enfants pendant la semaine où il assure leur accueil en garde alternée, se lâche et leur autorise un peu tout.
Ces personnages passe-partout, d’une troublante humanité, nous deviennent familiers en moins d’une page. Cette proximité s’établit par la magie des mots et cet art consommé avec lequel l’autrice nous relie à eux en nous plongeant dans des situations dont la plupart nous sont familières ou plausiblement familières. Petites faiblesses ou folies, les écarts des personnages nous renvoient en nous-mêmes sans ménagement, mais toujours avec la touche d’humour qui rend le coup de coude acceptable. Ce sentiment de complicité ludique est renforcé par un art consommé du détail plus vrai que vrai qui nous relie à nos expériences quotidiennes : le manque de places dans le tram ou le bus, les malentendus amoureux, la place de parking que l’on cherche, la vieillesse qui gagne du terrain, les agacements ordinaires, la fatuité des conversations sur écran. Y contribuent également les dialogues qui ne soucient guère des écarts de langage, tentant de coller au plus proche du parler de nos contemporains, sans tomber toutefois dans la vulgarité ou les clichés.
En refermant ce recueil qui rassemble 22 récits sur 124 pages à peine, dont chacun campe un univers distinct, on est impressionné par la rare densité des textes et leur prégnance sur notre imaginaire malgré leur rythme soutenu. Comme dans la dégustation d’un vin de qualité dont le goût demeure en bouche une fois ingéré, on saluera leur rémanence, cette saveur qui nous reste à l’esprit en dépit de leur brièveté. Un livre à mettre dans les mains de tous ceux qui persistent à négliger le genre de la nouvelle.
Thierry Detienne