La force des serments

Damienne LECAT, Le pisseux, Academia, 2019, 120 p., 13.5 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-8061-0444-1

Éric a la soixantaine solitaire. Analyste financier, il vit reclus dans un appartement, réduisant au strict minimum ses sorties, profitant des services de sa sœur Anne qui lui est toute dévouée mais qu’il ne se prive pas de maltraiter. Son univers en huis clos est organisé méthodiquement, sa vie est guidée par l’obsession de la propreté et elle est rythmée de rituels immuables, de gestes répétés, de petits plaisirs solitaires. Relationnellement, son existence est minimaliste, il loue régulièrement les services tarifés d’une prostituée et ne recherche aucun contact. Il fuit la compagnie de ses semblables.

C’est dire si l’arrivée d’une nouvelle occupante dans l’appartement voisin le perturbe au plus haut point. D’autant que cette dernière qui affiche sa jeunesse et répond au prénom fruité de Prune, souhaite lier connaissance avec lui et se montre insistante, repoussant les limites qu’il s’empresse de tracer. Elle lui rend des services malgré lui et en attend de lui. Il se surprend à prendre en charge une petite fille qui attend sa voisine sur son seuil et à lui accorder attention. Il apprend à cette occasion que Prune travaille dans un refuge pour femmes battues, qu’elle se bat avec ferveur pour cette cause.

Le récit est entrecoupé de retours sombres sur l’enfance d’Éric. Revient le souvenir de la mort de sa maman alors qu’il est encore bien jeune, de l’arrivée d’une belle-mère qui malmène les enfants sous l’œil indifférent de leur père. Et surtout, le fil conducteur de son énurésie persistante à l’origine de sa réclusion et qu’il traîne comme une blessure ouverte. Suffit-elle à expliquer son aigreur maladive ?

La tension entre voisins atteint son comble quand il découvre que sa voisine est en fait la fille de sa belle-mère détestée et décédée, qu’elle est propriétaire de l’immeuble qu’elle s’apprête à démolir pour construire un nouveau centre d’accueil pour femmes.  La perspective de devoir quitter sa tanière le plonge dans le désespoir le plus profond. Mais Anne la protectrice, qui a promis à sa mère mourante de prendre soin de son frère, n’a pas dit son dernier mot et est prête à tout ….

Ce premier roman bref mené tambour battant ne manque pas d’atouts. Porté par une écriture vive, il présente des dialogues qui ne le sont pas moins, en accord avec la tension qui gagne le récit. Damienne Lecat rend bien les rituels apaisants de cet homme reclus, les menaces venues du monde extérieur et la force redoutable des liens qui unissent le frère et la sœur, même si leurs relations ne sont pas de tout repos. Bref, un récit plaisant qui ne manque pas de souffle et qui marque une entrée en littérature réussie.

Thierry Detienne