Ce lundi 17 juin, le Service général des Lettres et du Livre (SGLL) avait convié professionnels du livre et grand public à la présentation de son bilan annuel. Une rencontre au cours de laquelle ont été présentés tour à tour les rapports d’activités 2018 du SGLL et des instances d’avis liées au livre et à la littérature (Commission des Lettres, Conseil du livre, Commission d’aide à la librairie, Commission d’aide à l’édition, Commission d’aide à la bande dessinée, Jury de la littérature jeunesse). La matinée s’est clôturée par deux interventions livrant des regards contrastés sur la situation du livre et de la lecture aujourd’hui.
La communication de Christelle Gombert, intitulée « Donner envie de lire aux adolescents », a apporté un message empreint d’espoir : les livres prisés des adolescents sont certes éloignés des standards des adultes, mais au moins les ados lisent – et les adultes peuvent les y encourager par une attitude d’ouverture. La rédactrice en chef de Lecture Jeune a ainsi offert un contrepoint optimiste à la présentation par Benoit Dubois des chiffres-clés du secteur du livre en Fédération Wallonie-Bruxelles : si tout n’y est pas négatif, il ressort notamment une contraction préoccupante du marché de la littérature générale. Qu’en retenir ?
Un marché tributaire de la France
L’enquête menée par l’Adeb pour l’année 2018 n’a pas permis de réunir des informations fiables concernant le marché du livre de langue française en Belgique, faute de réponses de certains acteurs importants. Toutefois, 70 à 75 % des livres en langue française vendus en Belgique étant publiés par des éditeurs français, les chiffres collectés dans l’Hexagone peuvent, moyennant les précautions d’usage, être extrapolés à la Belgique. Il en ressort un léger repli (1%), marqué surtout dans les secteurs concurrencés par le numérique gratuit (encyclopédies…) et la littérature générale, où le livre de poche et les ouvrages de quelques auteurs à succès concentrent une part de plus en plus importante du marché.
La production de livres en Belgique francophone
Le chiffre d’affaires réalisé par les éditeurs belges francophones (livres imprimés et numériques additionnés) est en légère hausse (+ 0,43%) par rapport à 2017, alors que le nombre de titres publiés reste inchangé (9.948).
Cette hausse globale, bien que minime, cache des disparités :
- Le chiffre d’affaires généré par les livres numériques reste stable ; celui des livres imprimés augmente tandis que les cessions de droits plongent.
- Les ventes réalisées en Belgique diminuent de 8,60 % ; celles à l’exportation augmentent dans des proportions similaires. La part de l’exportation grimpe ainsi à 64,5 % du chiffre d’affaires global (pour 62,5% en 2017). Ce résultat implique lui aussi des situations contrastées, selon la part de l’exportation dans le chiffre d’affaires de chaque secteur. Ainsi la bande dessinée et la littérature jeunesse réalisent-elles respectivement 88 % et 94 % de leur chiffre d’affaires à l’exportation, pour seulement 6 % dans le cas du scolaire. La bande dessinée représente d’ailleurs 51.75 % du chiffre d’affaires total des éditeurs belges francophones – à comparer avec les 0,14 % que pèse la littérature générale.
Les chiffres de l’année 2018 montrent par ailleurs un tirage moyen très faible, témoin de la précarité du secteur.
Les travailleurs de l’édition
L’édition en fédération Wallonie-Bruxelles reste avant tout le fait de très petites structures. 57 % des maisons d’édition belges francophones comptent ainsi 0 à 5 employé(s), alors que seuls 4,5 % des maisons d’éditions ont plus de 100 employés.
Lesdits employés sont par ailleurs 61 % à être salariés à temps plein, tandis que 8,30 % sont bénévoles et 5,1 % stagiaires.
Marchés numériques du livre et pratiques de lecture
Les chiffres-clés du livre sont complétés par une étude Ipsos qui éclaire plus précisément les pratiques des lecteurs, notamment (mais pas que) en matière de numérique.
L’enquête nous apprend tout d’abord que sur 100 personnes alphabétisées en Belgique francophone, 85 se définissent comme lectrices (papier ou numérique). Un chiffre de 85 %, donc, mais qu’il faut décoder : la population alphabétisée ne représente, estime-t-on, qu’environ 80 % de la population totale. Et les personnes se définissant comme lectrices ne lisent pas toutes des livres, qu’ils soient imprimés ou numériques. Corrélativement, les lecteurs se rencontrent plus fréquemment parmi la population favorisée, à fort niveau d’études et de classe sociale supérieure.
La lecture numérique touche quant à elle de plus en plus de lecteurs, mais elle reste le plus souvent couplée à la lecture de livres imprimés. Ainsi, une courte majorité des lecteurs (52%) lit à la fois sur papier et en numérique, tandis que seuls 6 % des lecteurs lisent exclusivement en numérique. Les 42 % restants déclarent ne lire que sur papier : 94 % des lecteurs lisent donc sur papier pour 58 % en numérique.
Amazon se taille toujours la part du lion dans l’achat de livres numériques (67 %) ; 5 % des achats de numérique s’effectuent sur la plateforme des libraires indépendants Librel.
À noter également : la part croissante du livre audio dans le marché du livre numérique. Il passe de 10% à 13 %.
Les chiffres de la lecture publique
Les chiffres du livre sont aussi ceux des bibliothèques. Ils concernent, dans ce cas, l’année 2017. Si le nombre total d’usagers enregistrés (c’est-à-dire détenteurs d’une carte de bibliothèque) est en légère baisse, on constate par contre une augmentation significative tant du nombre de prêts que des animations proposées et du nombre de participants.
Verre à moitié plein
L’année 2018 a été assez bonne pour les éditeurs belges francophones pris dans leur globalité (laquelle cache des situations fort différentes), puisque leur chiffre d’affaires est en légère hausse. Dans le même temps, toutefois, le nombre de lecteurs – et singulièrement de lecteurs de littérature – diminue. Une baisse qui n’est pas propre à 2018 et s’inscrit dans une tendance de fond. Qui ne va pas sans paradoxe, non plus : si la population de lecteurs ne cesse de diminuer en pourcentage et en nombre, elle a aussi dépensé plus pour acquérir des livres en 2018 qu’en 2017 – et les chiffres des emprunts en bibliothèque augmentent eux aussi. Plus de livres lus par moins de lecteurs, donc : un enjeu démocratique, à l’évidence.
Nausicaa Dewez