COLLECTIF, Des traversées et des mots. Écritures migrantes, Mardaga, 2019, 96 p., 14.90 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-80470-714-9
Voici une initiative originale née dans la foulée de la Foire du livre : rassembler en un recueil des textes écrits par des migrants et d’autres créés pour l’occasion par quelques-uns de nos écrivains francophones et par des personnes impliquées dans les mouvements aux côtés des réfugiés. Ce pari littéraire qui juxtapose les contributions en un jeu de miroirs ne va pourtant pas de soi. Comme le rappelle justement Xavier Deutsch :
Pour écrire, il faut s’asseoir, s’installer. C’est un truc de sédentaires. Il est arrivé que des garçons, ayant passé deux ou trois nuits à la maison, puis s‘en étant allés, aient laissé derrière eux des notes. Je les ai lues. Il était écrit « Park » et puis trois chiffres. Ou « Mahmed » et puis quatre chiffres. Ou encore une suite de neuf ou dix chiffres, parfois raturés de façon à devenir illisibles. Ou des idéogrammes que je ne pouvais pas déchiffrer. Jamais davantage que deux lignes.
Le ton est donné et il nous invite à prendre la mesure de l’exercice qui a aussi nécessité la collaboration de traducteurs, les auteurs migrants s’exprimant le plus souvent en anglais ou en arabe. Leurs écrits tiennent parfois en une page ou deux, denses comme une vie résumée sur une carte d’identité, mais ils sont parfois plus longs. Les uns prennent la forme d’un poème appelant à la fraternité, d’une interpellation sur le sort de l’humanité, sur la manière dont nos autorités repoussent au mieux poliment leurs semblables. Leurs auteurs sont arrivés il y a quelques années déjà. Ils disent la soif de liberté, le refus de l’esclavage, l’élan vital vers un mieux.
D’autres narrent l’impossible odyssée par laquelle ils sont parvenus ici, les dangers croisés, les compagnons de voyage emportés par les flots. Comme ce texte de Slimane Benaïssa qui se conclut à Marseille par « Assis dans un coin du vieux port je me disais : Et dire qu’un billet d’avion Dakar-Paris, c’est 800€ et 5 heures de vol ».
Il faut le courage de l’un d’eux arrivé en Belgique depuis quelques années pour dire le récit qu’il a reçu de Nawal, cette femme syrienne qui a traversé ce que l’humanité produit de plus pure horreur. Les mots sont durs, ils ont leur place dans ce recueil qui n’en abuse pas, rappelant utilement que l’exil est souffrance et résulte de la souffrance. C’est l’occasion de se souvenir, comme le fait Françoise Lalande, de ce que nous trouvons le plus souvent dans nos ancêtres des personnes qui ont fui l’insoutenable et qui ont dû affronter elles aussi la posture de l’exilé :
Et puis on comprend : vous êtes différents et vous ne le saviez pas. Une moche histoire de religion, une façon de vivre, allons ! Vous êtes différents et vous ne le saviez pas. Mais les autres sont là pour vous le rappeler et tout-à-coup, ils ne vous aiment plus, ils ne vous supportent plus. Eux ont changé, pas vous, mais l’histoire des hommes, c’est comme ça ! Rarement jolie ! Ils iront en Belgique et la route qu’ils emprunteront s’appellera un jour « Chemin des Allemands »
Thierry Detienne