Bruxelles, section criminelle

Anne-Cécile HUWART, Mourir la nuit, Onlit, 2019, 252 p., 18 € / ePub : 6 €, ISBN : 978-2-87560-114-8

S’il est un domaine de la vie que l’on connaît essentiellement par la fiction, c’est bien celui de la criminalité. On est nourri de romans policiers, de films noirs, criminels, de séries télévisées, téléchargées ou en flux diffusées, de Faites entrer l’accusé… On absorbe les gestes (la gesticulation parfois) des enquêteurs, les techniques scientifiques, les procédures judiciaires au point de finir par les croire vrais alors qu’ils ne sont que vraisemblables (et encore…), qu’ils sont nourris autant par leur propre mythologie que par la réalité du terrain. Davantage ? Qu’en sait-on vraiment ? Pour dépasser la fiction, Anne-Cécile Huwart, journaliste spécialisée dans les affaires judiciaires, la santé, l’enseignement, le social est allée observer au plus près l’instruction des crimes. Puis elle l’a racontée au plus juste, « de l’intérieur, sans voyeurisme, dans le respect de l’instruction et de la dignité des victimes et de leurs proches. » In fine, outre le fait qu’il n’y ait héroïsation ni de la police ni des criminels, le plus étonnant est le rapport au temps : rien ne va vite. Entre le moment où le meurtre est commis et l’énoncé du verdict, il se passe des années. Anne-Cécile Huwart a respecté cette temporalité lente. Elle a mené son travail minutieusement, au long cours. Son enquête a duré près de six ans. Un temps que permet le livre et que ne souffrent pas les médias et les réseaux sociaux.

Autorisée à suivre les enquêtes de la Police judiciaire fédérale (PJF) de Bruxelles, elle rapporte deux affaires de crime ordinaire, si un crime peut être qualifié ainsi. Le 3 février 2014, deux corps sont retrouvés : le premier, découvert dans un appartement à Uccle, est celui de Jephté Vanderhoeven, quinquagénaire, assistant social, homosexuel, apprécié de tous et pourtant si seul la nuit ; le second, gisant sur une passerelle à l’entrée d’un parking près de la place Rogier, est identifié (difficilement) comme celui de Marek Adamsky, sans-abri polonais, arrivé en Belgique moins de deux ans auparavant, « mort déjà mort, du moins socialement ». Anne-Cécile Huwart alterne ces deux histoires tout en variant les éléments donnés à lire : tantôt son attention se porte sur la victime ou ses proches (afin de comprendre ce qui a pu engendrer une fin aussi tragique), tantôt sur les meurtriers (des êtres en « errance », des criminels « vagabonds » plutôt que des tueurs nés) et leur entourage. Elle rapporte l’enquête, les interrogatoires, le déroulé des procès, en reconstruit le puzzle. Elle sait entendre autant qu’écouter, avec empathie, sans jugement. Avec des suspects pourtant connus dès le début (mais sont-ils les assassins ?), on ne lâche pas le livre car au fond, ce qui nous tient en haleine, davantage que les circonvolutions des affaires, c’est l’exploration d’un univers qui nous laisse apercevoir la complexité des vies et de la psyché humaines.

Michel Zumkir