j’étais vivante et je voyais / la belle étrange / justesse de vivre

Véronique WAUTIER, Traverso, illustré de peintures d’Alain Dulac, L’herbe qui tremble, 2019, 110 p., 14 €, ISBN : 978-2-918220-88-6

C’est une voix majeure de la poésie d’expression francophone de Belgique qui s’est éteinte il y a quelques mois à peine, quand Véronique Wautier s’en allait sur la pointe du cœur et du verbe en laissant dans son sillage une dizaine de titres aussi puissamment fragiles que Chacun de nous est une foule (Le Coudrier, 2004), Le jour aux ignorants (Eranthis, 2010), Continuo (L’herbe qui tremble, 2017)… Puis voici que l’automne balaie les feuilles de Traverso jusqu’au seuil de l’absence, et le dialogue se renoue par delà, avec le naturel de ces complicités suspendues que même la mort est bien impuissante à déjouer.

Dans cette centaine de pages que ponctuent les encres mêlées d’acrylique (ou l’inverse) d’Alain Dulac, combien de fois apparaissent les substantifs « douceur » et « lenteur », ou leurs déclinaisons adjectivales et adverbiales ? Assez pour maintenir une tonalité d’une joie paisible et savourée à même l’efflorescence de chaque saison, dont seules les poétesses savent qu’il n’en est d’autres que dernières.

Le rapprochement avec celles d’un François Jacqmin de maintes fulgurances calmes qui scandent ce recueil serait tentant, mais la subtilité de Wautier consiste justement à se passer de toute sophistication, de renoncer à la maîtrise, et de maintenir intègre l’expression du « je », pourtant tant décriée par les purs objectivistes de la veine anti-lyrique. Aucun virtuose ne commencerait l’un de ses chants sur un simple « bonjour » ; elle, l’ose, puis laisse son regard se déporter sur un rebord de fenêtres où gisent quelques jacinthes, avant de déposer une métaphore, délicatement, sur l’évidence de l’image.

Tandis que « tous les centres s’endorment au coin du soir », Véronique Wautier veille, lovée dans une citation de Vesaas, une question à Mandelstam, un écho à Celan. En musique de fond se discernent quelques notes du Winterreise de Schubert, au point que le lecteur, plutôt le Wanderer qui l’accompagne, se prendrait à rêver d’entendre ces textes transmués en lieder.

Arrive la croisée des chemins où la fatidique question se pose : « qu’ai-je à gagner ? / qu’ai-je à perdre ? » La lucidité finit toujours par reprendre ses droits, pour fournir invariablement la même réponse : « les revenants ne reviennent jamais ».

Sur ce, Véronique sourit, doucement, lentement, et formule l’aveu, puis la promesse de sa permanence parmi nous :   

Je ne trouve pas les mots pour le dire
mais je chercherai encore
sinon l’on meurt

Frédéric Saenen