Clapton a tué ma femme !, un polar sauce lapin

Guy DELHASSE, Clapton a tué ma femme !, Murmure des soirs, 2019, 205 p., 12 €, ISBN : 978-2-930657-52-3

Bien connu des lecteurs du Carnet et des amateurs de géographie littéraire, Guy Delhasse trempe aussi sa plume dans l’encre noire. Il a tenu longtemps la chronique polar pour les journaux La Wallonie et Le Matin et il a signé un Poulpe de belle facture, Du pont liégeois, avec la complicité de Jean-Paul Deleixhe et de Christian Libens.

Titre jaune élégant, bords de Meuse et perpectives sylvestres en couverture : les éditions Murmure des soirs présentent là un petit pavé soigné. Mais qu’on ne se méprenne pas, le roman qui se savoure ici a peu à voir avec une délicatesse.

« Clapton a tué ma femme ! » : ce sont les mots prononcés par un mari en état de choc confronté au suicide de sa femme défenestrée. Suicide, vraiment ?  À la demande de Sœur Agnès, Mère supérieure de la communauté des sœurs de la Miséricorde, le prof de religion Denis Lapierre enquête. « Denis, t’as pas de môme, t’as pas de femme chez toi. Comme enseignant, t’as des congés kilométriques, tu t’emmerdes royalement dans la vie et t’as besoin d’un désordre pour te remettre en place… » Tant pis pour le divulgâchage, Sœur Agnès a du flair : le fait divers cache bien un crime manigancé de rockambolesque façon.

Des hauteurs de Tilff aux ruelles de Liège, Guy Delhasse prend plaisir à nous balader à travers l’ardente cité et les sombres affaires qui s’y trament. Après la Maison Rigo, demeure centenaire détruite en bord de Meuse, les promoteurs immobiliers convoitent le Ry-Ponet, bel espace vert du côté de Chênée. Ce n’est pas de la fiction, et Denis Lapierre se fait le porte-parole des colères de l’auteur. Si l’enquête nous mène en ces lieux de mobilisation citoyenne, elle nous permet aussi de fréquenter les chapelles musicales et les temples du bien boire à Liège : Shamrock, Blues-sphere, Tchantchès,Taverne Royale ou Saint-Paul… La bière coule à flot et les amateurs d’exotisme bistrotier se réjouiront… « Les bons boulets canonnent mon gosier de plaisir, les frites sont légères, la compote barbote. Je fourchette, je coutèle, je cuillère. »

En ce qui concerne l’intrigue, foin de vraisemblance : l’auteur s’amuse, nous aussi. Pour le fond musical, c’est Joe Dassin qui rythme le récit : Denis Lapierre est fan de l’interprète des Dalton et les chapitres du roman portent tous le titre de l’une de ses chansons – dans une autre vie, Guy Delhasse a aussi été chroniqueur musical! Et si les profs de religion en grâce auprès des Mères supérieures ne courent pas la noire, ce « faux catho qui parle bien de Jésus » se révèle finalement un détective assez conventionnel, qui aime la nuit, la bibine et les galipettes. 

Reste à évoquer le style. Le Boulet à la liégeoise n’est pas un modèle de légèreté et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce polar sauce lapin ne déroge pas à la règle. Certaines formules sentent un peu trop le lieu commun : « J’ai fini ma Jupiler, je suis un homme, je sais pourquoi. » D’autres méritent le Pouy d’or : « La Vendée pourra, dans quelques heures nous recevoir, nous sommes l’un et l’autre prêts à être chauds Chouans. » Les sentences plus gênantes datent d’une époque où polar rimait avec macho : « Nous les hommes, nous sommes comme des plombiers, les trous on n’aime pas ça, on bouche… Et les féministes sans féminité, je les emmerde. »

Les adeptes du bon goût et de la mesure fuiront, les amateurs de romans de gare bien saucés se régaleront…

Marc Wilmotte