Trois petits tours et puis s’en vont…

Un coup de cœur du Carnet

Aïko SOLOVKINE, Rodéo, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2020, 220 p., 8.50 €, ISBN : 978-2-87568-482-0

Le roman Rodéo d’Aïko Solovkine, bien que salué par les critiques lors de sa première publication en 2014 chez Filipson et récompensé par le prix de la Première œuvre de la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2016, avait continué de circuler dans une communauté restreinte de lecteurs. Sa deuxième édition est un événement attendu, tant il est évident que le récit de cette jeune autrice n’avait pas eu alors la visibilité qu’il méritait. Augmenté d’une postface, comme c’est toujours le cas dans la collection Espace Nord, ce roman met en scène les actions d’une jeunesse mâle oubliée dans une région rurale belge délaissée.

Inspiré d’un fait-divers tragique resté impuni, Rodéo raconte une histoire de dépossédés. 

En effet, il y a peu d’espoir pour ces garçons des années 1990 qui foncent à toute allure en Golf noires, toujours à « [f]aire la course dans les lignes droites, à qui arrivera le premier à l’arbre, au rond-point, à rien ». Dont « l’avenir est un fantôme aux mains vides ». Qui tournent dangereusement en rond. Qui, génération après génération, choisissent de frapper et s’anéantir ensemble plutôt que d’être taxés d’un « déficit de couilles au cul » en s’opposant au groupe.

Bien que le paysage soit familier au lecteur belge, Aïko Solovkine ne précise jamais exactement où se situe l’action. Peut-être pour donner une portée universelle à son récit, où des individus interchangeables enfermés dans leur genre et dans leur fonction, gravitent. Homme et chasseur, femme toujours gibier et mère sacrifiée. Binarité de sexe et de genre qui les emporte tous dans une asphyxie assumée. Et que les révoltés qui souhaitent en sortir périssent.

Il n’y a pas, dans le panorama littéraire belge contemporain, d’équivalent à cette écriture incisive, précise, tendue comme un fil. Cette écriture qui force le lecteur et ses personnages dans des tourbillons et des tête-à-queue. On est dans la narration comme sur un manège où l’Histoire et l’inégalité des chances emportent tout, qui subitement s’arrête puis reprend de plus belle : « Vous en voulez encore ? Non ! » Et pourtant c’est reparti…. Le destin des personnages se poursuit de façon implacable, droit au but. Avec en fond sonore des comptines déglinguées et des virelangues désespérés. Un extrait ?

Sont pas bien méchants, nos petits gars. Pas bien mauvais non plus […]. Trafiquent un peu dans la drogue récréative et la ferraille, volent petit, revendent à peine plus gros, se vident la tête en boîte de nuit, se remplissent le sang de gin, font le grand huit en agglomération et décapitent au passage une mère de famille qui tentait de dissoudre sa graisse post-partum en trottinant en jogging. Dans le petit matin d’un dimanche de mai. Deux jours avant, elle avait demandé à son coiffeur de lui faire des mèches ambre sur cuivre. Un scalp blond et jaune dégrafé par le capot d’une Peugeot 205 turquoise avec des jantes 19 pouces. 

Dans sa remarquable postface à ce récit incontournable, Laurence Boudart, directrice des Archives et Musée de la littérature, met en évidence l’importance de la maîtrise du langage comme éventuelle échappatoire à la réalité socio-économique dans laquelle évoluent les protagonistes. Mais Rodéo, écrit-elle, oscille entre tragique et romanesque. Et on nous l’avait annoncé dès le début : cela finira mal.

Violaine Gréant