Un coup de cœur du Carnet
William CLIFF, Immortel et périssable, choix anthologique et postface de Gérard Purnelle, Impressions Nouvelles, coll. « Espace Nord », 2019, 240 p., 10 €, ISBN : 978-2-87568-424-0
Il porte un nom (pseudonyme) d’acteur américain, une gueule pareille ; il est à faire se damner un saint, William Cliff. Mais plutôt que de s’exhiber sur les écrans tout en longueur du cinématographe, c’est sur d’autres surfaces blanches qu’il a inscrit son corps, sa vie (matière quasi exclusive de son œuvre, avec l’espèce humaine) : celles des pages des recueils de poésie et des romans. Bien qu’on puisse l’entendre murmurer qu’il est malcontent :
de quelle insatisfaction souffrez-vous
(c’est la gloire la gloire qui me manque),
il est un des poètes contemporains les plus reconnus
(oui mais ma vie reste très inférieure
à ce que j’avais rêvé qu’elle soit).
Il a reçu pour l’ensemble de son œuvre le grand prix de poésie de l’Académie française (2007), le prix quinquennal de littérature (2010) et le prix Goncourt de la poésie (2015). Et cet automne a paru Immortel et périssable, une anthologie de sa poésie, dans la collection patrimoniale Espace Nord, un vecteur éditorial qui pourrait étendre son lectorat. Dans ce florilège, il apparaît combien ses poèmes sont et demeurent sans opacité, lisibles – comme des récits en somme – et provoquent davantage de jouissance à chaque lecture, tant les mots s’y enrichissent de sens, tant la forme génère la beauté. Une beauté vénéneuse, ténébreuse qui sublime une réalité souvent triviale, appartenant à la vie organique, aux jours et aux nuits de l’homme travaillé par la souffrance, le sexe, la solitude, la mort… même si, très exceptionnellement, Cliff a pu écrire :
[…] mais j’ose à peine le dire
c’est tout de même merveilleux de vivre.
Les poèmes choisis et postfacés par Gérald Purnelle sont repris chronologiquement et proviennent de la plupart des recueils de l’auteur. Ils montrent le contraste permanent entre la forme classique (utilisation quasi exclusive des vers réguliers) et le fond prosaïque (les choses de la vie sur le mode de la remémoration). S’y ajoutent six sonnets de Shakespeare car Cliff exerce également une activité de traducteur. On peut d’ailleurs regretter que n’ait pas été retenu un extrait du Poème inachevé de Gabriel Ferrater, le poète catalan qui a ouvert la voie/voix à sa poésie telle qu’elle est. Ce qu’il dit de lui en introduction de sa traduction aux éditions Circé pourrait lui être appliqué en retour : « Pour lui, le vécu n’est pas le prétexte à mises en images plutôt floues, ou à distorsions verbales alignées par un scripteur terrorisé à l’idée d’être piégé ; au contraire, dans le cas de Ferrater, le poète jette le masque pour montrer sa vérité d’homme, et ses limites, ses perversions, même ses faiblesses intellectuelles, oui, elles aussi, le poète doit avoir l’honnêteté de les montrer. » Le masque tombe aussi dans l’œuvre de Cliff et le titre de l’anthologie, Immortel et périssable, puisé à l’un de ses textes, en rend parfaitement compte. Il énonce la tension qui existe entre le poète dont le poème « vole plus haut que les toits sombres des cités » et l’homme qui rampe « avec d’autres en supportant les mêmes chaînes ». Et malgré le pessimisme endémique de William Cliff, on ne doute pas qu’il se survivra à lui-même par cette œuvre qui échappe au travail de sape des modes littéraires et déjoue, pour lui, la défaite de mourir.
Michel Zumkir