Françoise M. par Marie-Paule B.

Marie-Paule BELLE, Comme si tu étais toujours là, préface de Serge Lama, Plon, 2020, 213 p., 18 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-259-27838-6

Françoise Mallet-Joris écrivait ; Marie-Paule Belle compose et chante. Dans Comme si tu étais toujours là, livre-hommage à l’écrivaine belge disparue le 13 août 2016, la chanteuse tient pourtant la plume. Mais elle s’efface souvent pour laisser place aux mots de sa compagne, parolière et amie. Cartes postales, brefs messages, lettres, manuscrits, paroles de chansons retranscrites … : M.-P. Belle dévoile une partie des nombreuses archives qu’elle conserve dans un carton rouge, témoins de leur relation privée et professionnelle.


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Le couple a duré de 1970 à 1980. Après la rupture, il a fait place à une « amitié amoureuse ». Puis les deux artistes se sont véritablement retrouvées, explique M.-P. Belle, peu avant la mort de l’écrivaine, l’une accompagnant l’autre dans ces semaines douloureuses. F. Mallet-Joris écrit frénétiquement à sa compagne. De petits mots en lettres quotidiennes lors des tournées de la chanteuse, elle se montre tour à tour amoureuse fleur bleue (« C’est donc le dernier petit mot que je t’envoie, ma doucette, ma toute mignonne, mon petit sucre d’amour »), compagne inquiète (« J’ai tellement peur, ma chérie, que pour être plus vite près de moi, tu ne prennes des RISQUES ou que tu ne t’endormes au volant »), soutien indéfectible de l’artiste (« Espoir et Foi dans ta qualité. Tu tiens en main le sceptre de la vraie réussite »).

Un soutien qui s’est aussi exprimé par l’écriture de chansons, l’écrivaine mettant sa notoriété et son art au service de la chanteuse débutante. F. Mallet-Joris est alors une personnalité reconnue, lauréate en 1958 du Femina, dont elle a ensuite intégré le jury, et future membre de l’Académie Goncourt (qu’elle rallie en 1971). Comme si tu étais toujours avec moi invite à (re)découvrir son travail de parolière, trop souvent et injustement réduit au tube « La Parisienne », alors que s’y dessine une autre veine, moins humoristique, amoureuse (« Je ne sais pas pourquoi je t’aime »), souvent teintée d’angoisse pour ce qui pourrait ne plus être (« L’heure d’été », « Ma lèvre a saigné ce matin ») ou de mélancolie face à ce qui déjà n’est plus (« Ces lettres auxquelles on ne répond pas »).

Le livre montre aussi, au détour d’une anecdote, l’autrice préoccupée par la reconnaissance de son travail :

Je me souviens du jour où tu es rentrée, après de longues heures d’écriture, ravie et fière comme une petite fille :
« Devine ce qui m’arrive ! »
Moi, émue par ta joie, je pensais que tu étais particulièrement satisfaite d’un passage que tu venais d’écrire […]
« Je ne vois pas, dis-moi vite !
– Je suis SUR LA CARTE !!! »
Le menu du café des Deux Magots était en effet préfacé par un historique du lieu, citant les écrivains […]  qui y avaient leurs habitudes. Et ton nom était à l’honneur.
 

M.-P. Belle écrit pour F. Mallet-Joris : à son adresse et à sa place.
À son adresse, car dans ce récit à la deuxième personne, la chanteuse parle à celle qu’elle a perdue. Affleurent un amour qui semble intact et une admiration sans bornes pour la femme et l’écrivaine. Excès d’humilité ? M.-P. Belle esquisse les contours d’une relation inégale. Les termes semblent toutefois s’être retournés lors des derniers instants de F. Mallet-Joris : « Tu n’étais plus mon amante, ma sœur, ou ma mère. Tu étais devenue mon enfant ».
Mais aussi à sa place : malgré toute sa délicatesse, la chanteuse expose ici des pans de la vie intime (l’infidélité, la rupture, la tentative de suicide…) de celle qui n’a pas pu consentir à cette mise au jour. Pour ce faire, elle a réalisé une sélection dans les nombreuses archives dont elle dispose : ne montrant rien des brouillons de romans, elle a choisi des écrits de la sphère privée – et quelques-uns seulement parmi sa vaste collection.


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Ce qu’elle livre ici est donc avant tout un témoignage, dans toute la subjectivité du terme. Sociologique, sur le milieu germanopratin et, plus original, sur la vie d’un couple de femmes qui n’exhibent ni ne dissimulent leur homosexualité dans les années 1970. Témoignage sur l’histoire littéraire belge, et les relations entre F. Mallet-Joris et sa mère, Suzanne Lilar, à qui elle a succédé à l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique. Témoignage unique, enfin, sous l’angle du privé, à propos d’une écrivaine dont M.-P. Belle pense qu’elle n’est pas reconnue à sa juste valeur. À l’heure où l’on distingue moins que jamais l’homme – la femme – de l’œuvre (pour le meilleur et pour le pire), ce portrait subtil, loin de toute controverse, contribuera peut-être bien à un regain d’intérêt pour une autrice qu’il rend particulièrement attachante.

Nausicaa Dewez