Après plusieurs mois sans l’avoir vu, Raphaël s’apprête à recevoir la visite de son père. Ces retrouvailles, il les appréhende. Non pas qu’il n’ait pas envie de le voir, loin de là. Seulement, le voilà obligé de révéler ce qu’il lui a caché jusqu’ici. Ou plutôt ce qu’ELLE lui a caché. Car ce que le père ignore encore, c’est que c’est en fait Nora, sa fille, qu’il va rencontrer. Raphaël n’a pas seulement quitté Arlon pour Bruxelles, il a également dit au revoir à une identité et une apparence auxquelles il se sentait étranger, pour faire connaître au monde la femme qu’il s’est toujours senti être, celle qu’elle est désormais : Nora. Continuer la lecture →
Véronique BERGEN, Annemarie Schwarzenbach. La vie en mouvement, Double ligne, coll. « Figures de l’itinérance », 2021, 19 €, ISBN : 978-2-9701433-2-1
Nulle figure autre que celle d’Annemarie Schwarzenbach ne pouvait inaugurer la prometteuse collection « Figures de l’itinérance » des éditions Double ligne – collection créée par Laurent Pittet, le fondateur de la revue Roaditude.
Née en 1908 à Zurich au sein d’une famille très aisée qui avait notamment des affinités avec l’extrême-droite, décédée à l’âge de trente-quatre ans, Annemarie Schwarzenbach était une femme intense, mystérieuse, familière des extrêmes. Féministe (solitaire), antifasciste et antiraciste, au travers de ses textes, photographies et reportages, elle est une figure importante de la dénonciation, entre autres, de la montée du fascisme en Europe, de la ségrégation et des conditions de vie des ouvriers en Amérique du Nord, de l’exploitation de l’Orient par un Occident malade. Continuer la lecture →
Joëlle SAMBI, Caillasses, Texte liminaire de Lisette Lombé, Illustrations Maïc Batmane, Arbre de Diane, coll. « Les deux sœurs », 2021, 120 p., 12 €, ISBN : 9782930822198
Sur la frontière entre Bruxelles et Kinshasa, entre l’oralité et le geste écrit, entre poétique sauvage et politique militante, Joëlle Sambi se tient, dressant une scène nomade, électrique où, portés par un vœu performatif, les mots font lever des corps. C’est de l’intérieur des oppressions séculaires, du creux d’une Histoire de sang et d’humiliations dans laquelle la Belgique et l’Occident ont plongé le Congo que les poèmes, les slams, les nouvelles, les créations radiophoniques de Joëlle Sambi s’arrachent. Au fil de trois rounds poétiques, scandés par des trouées de lingala, les registres de la colère, de la déclaration de guerre à la guerre, d’un cri collectif, d’un érotisme lesbien sont explorés. Sous la forme de l’explosion, d’une parataxe décapante, elle mène de l’ombre à la lumière ceux et celles qu’on a enfermés dans l’inexistence, les badigeonnés de silence. Continuer la lecture →
Stanislas COTTON, Mes papas, l’ogre et moi, Lansman, 2020, 44 p., 10€, ISBN : 978-2-8071-0289-7
Clovis Patati et Florimond Tictac souhaitent adopter un enfant. Ils deviennent les parents d’une petite Pétronille que tout le monde finit par appeler Ninou. Ils aiment lui raconter les péripéties de son adoption : une véritable série en trois saisons. Ninou, à son tour, se plaît à commenter gentiment leurs conversations et à raconter leur rencontre dans un café. Continuer la lecture →
Marie-Paule BELLE, Comme si tu étais toujours là, préface de Serge Lama, Plon, 2020, 213 p., 18 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-259-27838-6
Françoise Mallet-Joris écrivait ; Marie-Paule Belle compose et chante. Dans Comme si tu étais toujours là, livre-hommage à l’écrivaine belge disparue le 13 août 2016, la chanteuse tient pourtant la plume. Mais elle s’efface souvent pour laisser place aux mots de sa compagne, parolière et amie. Cartes postales, brefs messages, lettres, manuscrits, paroles de chansons retranscrites … : M.-P. Belle dévoile une partie des nombreuses archives qu’elle conserve dans un carton rouge, témoins de leur relation privée et professionnelle. Continuer la lecture →
Laurent HERROU,
Vie et mort du Duquesnoy, Autofiction,
P.A.T., 2019, 11 €, ISBN : 978-2-930959-08-5
Bruxelles est la ville où Laurent Herrou, né à Quimper, ayant vécu à Nice, Paris, Villequiers (Cher) s’est installé au début de l’année 2017 et où il séjournait déjà sporadiquement depuis plusieurs années, notamment à l’occasion de résidences d’auteur (Passa Porta). C’est aussi la ville où, depuis 2009, il visitait l’antre du Duquesnoy, ce haut lieu du sexe gay aujourd’hui clos. Là, il jouissait du désir des hommes, du sien aussi. Là, il apprenait à mieux se connaître, à affirmer (consolider ?) son identité que l’on a connue plus hésitante dans Laura, sa première autofiction (« J’ai pensé : je suis poilu. Je suis un homme »), à exalter son narcissisme (« J’ai pensé que j’étais beau, à poil, mes cheveux longs qui tranchaient avec le look des autres »). Continuer la lecture →
Qu’y a-t-il de plus ravageur que la peste, telle celle de 1593 à Londres, qui a transformé les médecins en noirs corbeaux, parsemé les chairs de bubons purulents, jonché les rues de cadavres ? De plus foisonnant que le théâtre élisabéthain, symbolisé avec majesté par le père adoptif de Roméo et Juliette, le lanceur de questions insondables, le songeur nocturne estival ? De plus exaltant que la composition de poèmes mythologiques, où des Hommes se frottent aux Dieux dans l’épreuve de tourments humains, où la Tragédie est sublimée par le rythme versifié, où la scansion se fait chanson à deux bouches ? De plus noir que les chicots d’Élisabeth Ière, au teint (artificiellement) pâle assombri par la dépression, mais toujours affamée, alerte, redoutable en des temps de ruses et de complots ? De plus nourrissant qu’un pain d’épice préparé avec amour par de jolies mains potelées, agrémenté de vin rouge ou constellé d’anis étoilé, accompagné d’une ale fraîchement pétillante ? La passion… Continuer la lecture →
Anne DUVIVIER, Un amour de psy, M.E.O., 2019, 182 p., 17€, ISBN : 2807001882
Angelo est un psy de cinquante-neuf ans à qui son épouse vient d’annoncer qu’elle est amoureuse d’une autre femme de trente-quatre ans. Magnanime, elle souhaite toujours vivre avec son mari moyennant quelques aménagements. Bien qu’ils soient dans un mariage libre, Angelo vit mal cette nouvelle, qui lui fait l’effet d’un séisme. Continuer la lecture →
Serge NOËL, À la limite du prince charmant, L’Arbre à paroles, 2018, 207 p., 17 €, ISBN : 978-2-87406-665-8
Serge Noël n’est ni un débutant, ni un inconnu. Depuis une quarantaine d’années, il a publié treize livres de poésie et quatre romans, co-écrit les mémoires d’une survivante d’Auschwitz, coordonné des ouvrages collectifs comme Paroles d’exil ou J’ai deux amours, collaboré à divers journaux et revues, obtenu en 1981 un prix de l’Académie royale de Langue et de Littérature, en 2007 le Prix Jeunesse Éducation permanente, en 2012 le Prix Gros Sel. Militant de gauche dès son adolescence, en lutte contre le système capitaliste, l’impérialisme ou les comportements racistes, il présente un profil typique d’écrivain engagé, dans la ligne des Louis Aragon, Paul Éluard et autres Pablo Neruda. L’œuvre de ceux-ci, en effet, a démontré de manière éclatante que les convictions politiques ne sont pas nécessairement incompatibles avec la poésie, pourvu qu’elles soient transcendées par la créativité de la langue et le travail de l’écriture – pourvu, surtout, qu’elles ne soient pas coupées des registres émotionnel et imaginaire, sans lesquels le monde des idées serait voué au dessèchement. Telle est précisément la voie sensible et plurivoque adoptée par S. Noël, comme en témoigne son dernier recueil, À la limite du prince charmant. Celui-ci, de plus, évoque sans ambages l’homosexualité de l’auteur et son parti pris féministe, lesquels donnent à sa lutte une dimension supplémentaire : en chaque circonstance, il veut prendre le parti des faibles, se faire la voix des sans-voix, dénoncer toutes les formes de despotisme. « On a toujours raison de se révolter contre l’injustice », affirmait Mao Tsé-Toung l’un de ses bons jours. Continuer la lecture →
Mireille BAILLY, Le départ, Lansman, 2017, 50 p., 11€, ISBN : 978-2-8071-0145-6
Le Fils, 35 ans, est sur le départ et l’annonce de but en blanc à ses parents pendant le repas du soir. Il est 19h précises et ils regardent bien tranquillement la télévision. Dans le costume de son père, la valise à la main, le Fils a décidé de partir loin. Très loin. Ses parents ont-ils bien entendu ? Eux qui cinq minutes plus tôt se disputaient sur la potentielle nouvelle couleur de leur salon. Faut-il d’ailleurs vraiment le repeindre ce salon ? L’incompréhension des premières minutes laisse rapidement place à la colère. Le Fils veut partir ? Lui qui ne sait pas s’habiller tout seul. Un assisté, pourrait-on dire. La Mère, pourtant si maternelle et affectueuse, se transforme en monstre crachant des mots vulgaires et odieux. Le déni suit quand le Fils annonce qu’il part retrouver celui, et non celle, qu’il aime. Ce coup – de poignard ou de feu, c’est au choix – leur sera fatal. Le cœur de la Mère saigne de voir partir la prunelle de ses yeux. La soirée avance. Des mondes continuent de s’affronter. Arrivent ensuite Monsieur, une mitraille à la main, Madame et le Fils de 33 ans de Monsieur et Madame, qui lui aussi aime les hommes. N’est-il pas temps de laisser partir son petit chouchou ? Et si cet amour était bien réel ? Et s’il ne fallait pas toujours « tuer le père » pour avancer ? Et si rien ne changeait finalement ? Continuer la lecture →
Georges EEKHOUD, Escal-Vigor, Tusitala, coll. “Insomnies”, 2017, 188 p., 13 €, ISBN : 979-10-92159-11-0
Comme ils s’aimaient ces deux-là ! Tel qu’on s’aime dans les légendes et parfois dans la vraie vie : dans le bonheur, l’adversité et jusqu’à ce que mort s’ensuive. On aurait tant voulu que la folie et la haine des hommes et des femmes n’entraînent pas leur mise à terre et à mort. Mais Georges Eekhoud (1854-1927), ce brillant écrivain flamand de langue française, n’a pas transigé avec son projet romanesque, poétique et politique, n’a pas tourné en bluette la lutte contre les préjugés sectaires qu’il a entamée après le procès d’Oscar Wilde. À son époque (et encore aujourd’hui dans certains pays, et parfois (près de) chez nous) on pouvait se retrouver en geôle ou lynché par des hordes en furie quand on vivait hors la loi sexuelle commune. Aussi Escal-Vigor ne pouvait finir moins tragiquement. Dans ce roman, plus que deux hommes, c’est l’amour et l’humanité qu’on assassine. La violence de la scène finale n’a d’égal que le sublime de l’écriture pour la raconter. Continuer la lecture →
Leonor PALMEIRA, Camille PIER, La Nature contre-nature (tout contre), L’arbre de Diane Editions, coll. « La tortue de Zénon », 2016, 80 p., 12 €
Il s’en passe des choses dans la nature. Des choses que l’on n’imagine pas, que l’on ne veut pas voir, ou que l’on nous cache parce qu’elles rendraient chèvre l’ordre établi. Celui, par exemple, de la différence entre les hommes et les femmes, cette fameuse différenciation sexuelle qui serait le dernier rempart contre la confusion identitaire, l’ultime argument pour défendre la famille traditionnelle. Que n’a-t-il pas fallu entendre, en France, au moment des débats pour le mariage pour tous – et toutes ! Quelles couleuvres n’a-t-il pas fallu avaler ! Même si, au fond, on peut être d’accord avec Juliette Gréco quand elle chante « La nature complique jamais inutilement / Y’a que les hommes pour s’épouser ». Mais la nature est plus égalitaire que la société humaine ; dans le règne animal c’est : le non-mariage pour toutes et tous. Continuer la lecture →