Un coup de cœur du Carnet
Juan D’OULTREMONT, Judas côté jardin, ONLiT, 2020, 359 p., 19 €, ISBN 978-2-87560-119-3
Eden : lieu où la Bible situe le paradis terrestre (avec une majuscule).
Littéraire. Lieu de délices, séjour plein de charmes, état de bonheur parfait.
(Larousse)
Cela commence comme l’histoire du monde, dans un jardin.
Juan d’Oultremont, personnage pluridisciplinaire et protéiforme. Plasticien, auteur, homme de radio, ancien enseignant fait avec Judas côté jardin son retour sur les rayonnages des librairies.
22 mars 2016, attentats à Bruxelles.
Confronté aux images de la catastrophe, je sens monter en moi la nécessité d’une réaction déraisonnable.
Cette réaction déraisonnable qui s’invite brutalement dans l’esprit du narrateur, c’est l’écriture.
Un panneau de porte, deux tréteaux, la (re)/(dé)construction des souvenirs peut commencer.
Ce roman, c’est l’histoire d’une méprise.
Judas, pendant 10 ans, de 2 à 12, a été convaincu que son père était Dieu.
Et puis du jour au lendemain, comme on perd la foi ou comme on se fait opérer de l’appendicite, j’ai arrêté non seulement d’y croire, mais en plus j’ai fini par oublier que j’avais cru.
Pourquoi ? Comment cela a-t-il pu commencer et pourquoi cela s’est-il arrêté ?
C’est à ces questions que Judas, tout au long de cette compilation de souvenirs, va essayer de répondre.
Judas, c’est Juan d’Oultremont.
Juan, c’est Judas.
La matière première est autobiographique mais, pour autant, est-ce que tout est vrai ?
L’auteur ne lésine pas sur les moyens, tout y est pour accrocher le lecteur et pour l’ancrer dans un contexte spatio-temporel bien défini : la petite et la grande Histoire.
La famille – L’Expo 58.
L’école – L’incendie de l’Innovation.
Il y a aussi ces mots qui font peur : Sanatorium. Pensionnat. Maison de correction.
Il y a surtout, cette forme d’insouciance et de légèreté, qui caractérisent peut-être si bien les années ’50 et ’60.
Je fais partie d’une génération née juste avant l’invention de la frigolite. L’époque est à l’optimisme
Et pourtant, aux yeux du jeune Judas, la menace est là, presque perpétuelle. Il existe de multiples facteurs, de grands ou de petits événements qui pourraient à chaque instant venir perturber la quiétude du lieu et de l’époque.
Quelle enfance extraordinaire !
Mais Diable (oui, Diable) où s’arrête le vrai dans cette histoire ?
Le tragique y côtoie sans cesse le merveilleux. Les souvenirs sont mis en forme comme nous le ferions d’un jardin. Taillés. Entretenus.
Justement, cette histoire, c’est aussi celle d’un jardin.
Un jardin qui a conditionné le rapport de Judas au monde.
Le bien-être et la sécurité au cœur des 40 ares. L’angoisse et l’insécurité hors les murs.
Être chassé du paradis terrestre ou devoir le quitter sera la peur récurrente du jeune enfant.
…chaque retour dans ce jardin produit sur moi un effet qui touche à l’euphorie
Ce paradis, c’est le père de Judas qui en est le grand ordonnateur. Sa mère, elle l’habite.
Elle chante. Elle fume. Elle se promène, vit et voltige dans le jardin.
De ce jardin et jusqu’à son dernier jour, ma mère sera la Reine
Pas un jour où elle n’aura ajouté de l’horreur à la tragédie, de l’amour à l’amour, de l’humour au joyeux et du merveilleux au déjà magique
Récapitulons :
Il y a Judas.
Sa sœur.
Ses parents.
Et enfin, pour compléter le tableau familial, il y a également les grands-parents :
Les paternels, qualifiés de grands-parents MOINS et les maternels, présentés comme les PLUS.
Mais, il y aussi les cerisiers (du Japon ou pas), les framboisiers, le néflier et les saules. Les rosiers. Il y a les tagettes, les campanules, les cosmos, les rocailles, le désherbant Prémazin, … Le tout agrémenté de petites granules bleues destinées à éradiquer les limaces.
Aujourd’hui, le père de Juan vit toujours alors que, certainement, dans la tête de Judas résonne et résonnera encore cette phrase, dite pas son grand-père sur le front de l’Yser : « Vous allez voir comment un d’Oultremont sait mourir ! »
David Dusart