Tout corps plongé dans un liquide…

Arnaud NIHOUL, Claymore, Genèse, 2020, 272 p., 22,50 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 979-1-0946896-53

Arnaud nihoul ClaymorePourquoi le whisky goûté par Liam, jeune apprenti de la distillerie Dandarach sur l’île écossaise d’Ardoran avait-il ce goût étrange de linge sale, de transpiration et de cuivre ? Normal : vérification faite, le gâte-sauce est un cadavre racrapoté qui marine dans le tonneau. Celui d’un étranger qui pourtant ne doit pas être un vagabond puisque son poignet arbore une Rolex, promulguée naguère symbole de réussite par un pape autoproclamé de la sainte Publicité. Vu de plus près, il apparait que l’homme ne s’est pas immergé pour vérifier le principe d’Archimède applicable à tout corps plongé dans un liquide et qu’il n’est pas mort non plus d’une overdose de ce whisky haut de gamme, mais bien d’une balle de fusil qui l’a tué aussi sec.

Constatations subsidiaires et concomitantes : la très mystérieuse disparition de Neal Hamilton, le jeune directeur de la distillerie en pleine expansion et le dépôt par un inconnu du corps de sa collaboratrice Karen, largué dans un état comateux devant la maison du médecin de l’île. Elle aussi porte la marque d’une blessure par balle. Autant d’énigmes propres à tourmenter profondément Erwyn McHardy, le maître assembleur de la prestigieuse distillerie. Incarnation élégante de la vieille tradition écossaise, toujours fidèle au kilt, cet homme intègre prend aussitôt les choses en main. Grâce à son flair sélectif qui en remontrerait à un Scottisch Terrier et qui lui a valu son titre professionnel, outre les aromes propres aux distillats, il est capable de « renifler » nombre d’éléments significatifs dans le décor d’une action antécédente. Mais pour l’heure, il est hanté par un souci majeur : l’opération hautement délicate de fermeture du tonneau a été menée avec une maîtrise telle que seuls une demi-douzaine de ses collaborateurs expérimentés et lui-même pourraient s’en être acquittés. L’arrivée du policier venu d’une île voisine avec des préjugés simplistes ne l’empêchera pas de poursuivre utilement et sans modération ses recherches personnelles et ancrées notamment dans le passé des habitants venus – mais pour quelles raisons ? – s’installer dans cette île du bout du monde. Et de s’intéresser aussi à celui des anciens maîtres de la distillerie, les pères respectifs de Neal et de Karen, péris en mer cinq ans plus tôt sans que ni l’épave de leur voilier ni leurs corps aient jamais été retrouvés.

Avec Claymore (du nom de l’ancienne épée des Highlanders attribué au plus spirituel des whiskys de Dandarach) le Namurois Arnaud Nihoul renoue avec une passion pour l’Écosse déjà avérée dans Caitlin, son polar précédent (prix Saga Café du meilleur premier roman belge). Passion particulièrement vive pour les îles Hébrides, au large de l’extrême nord-ouest du pays gaélique : terres rudes aux reliefs tourmentés, battues par l’Atlantique et sources d’inspiration idéales pour le développement d’une intrigue criminelle. On retrouve ici la langue classique et soignée de l’auteur, épris par ailleurs de précisions descriptives qui confinent parfois au scrupule. Par contre et selon la loi du genre, si, chemin faisant, il multiplie les détails apparemment anodins ou hors propos, c’est pour mieux conclure à leur importance dans l’écheveau des éléments qui conduisent à la résolution d’une énigme habilement tramée. L’auteur n’étant pas un ingrat, ses remerciements vont notamment « à ces distilleries de whisky qui élaborent des merveilles ». Remarque judicieuse à l’heure où le whisky digne de ce nom multiplie les raffinements et retrouve ses lettres de noblesse parmi les spiritueux de haute et sage dégustation. À cent lieues des casse-pattes pour souleries organisées ou pour cow-boys de cinéma prêts à en découdre et à dézinguer le saloon.

Ghislain Cotton