En cavale

Marie COLOT, Jusqu’ici tout va bien, Alice jeunesse, coll. « Tertio », 2019, 263 p., 12 €, ISBN : 978-2-87426-326-2

Le récit de Marie Colot commence en force car nous débarquons dans un commissariat de police où le héros, Jozef (15 ans), est menotté à un radiateur, faute de cellule vide. Ça n’est pas la première fois qu’il se retrouve dans cet endroit : il est devenu spécialiste du vol à l’arrachée et à l’étalage, il doit toutefois encore s’améliorer dans les braquages si l’on en croit son passage par la case police…

Sous son côté blasé, on comprend vite que Jozef cache une profonde colère mâtinée de tristesse. Qualifié d’inadapté et d’élément perturbateur ingérable par ses profs, il a décidé d’arrêter l’école. Filer sur des rails, très peu pour lui, il a trop de difficultés à obéir. Il s’est allié à son meilleur ami Darius pour filer droit sur la mauvaise pente. Confiant, il n’est pas plus inquiet que ça, attaché au radiateur, mais il déchante vite quand il apprend que Darius a balancé tous les détails de leur braquage aux flics. Pourquoi s’est-il comporté ainsi ? Leur lien d’amitié et leur code d’honneur ne le leur permet normalement pas …

Lorsqu’un policier lui annonce qu’on a trouvé une place pour lui dans un Centre éducatif fermé, Jozef comprend qu’il n’aura plus de dernière chance et s’évade du commissariat. Nous le suivons alors dans une fuite qui dure une journée et demie et où il va s’enfoncer dans les problèmes, à croire qu’il le fait exprès. En réalité, Jozef n’a pas l’habitude de réfléchir à ses actes, il vit minute après minute, ce qui le met en difficulté dans plusieurs situations.

Jozef est un écorché en perte de repères. Il ne peut pas s’appuyer sur sa mère fragile et passive ou son père violent, dont il a hérité des coups de poing réactifs. Il frappe dès que la cocotte-minute est prête à exploser, c’est-à-dire assez souvent.

Pourtant, des personnes bienveillantes autour de lui lui tendent la main, mais il ne voit pas que le flic Michel le protège de loin, que la jolie Amel est secrètement amoureuse de lui, que Ludmila, sa petite sœur, écrit un avis de recherche touchant bourré de fautes d’orthographe… La seule personne qui le fera vaciller dans ses certitudes est Christie, une prostituée au grand cœur et assez finaude.

– Arrête. Je suis dans la merde.
– C’est pas nouveau, ça, il me semble…
[…]
– Même si j’avais envie de rentrer chez moi, c’est impossible. J’ai trop de monde sur le dos.
– Les kilomètres ne résoudront pas tes problèmes.
– Les problèmes, tracasse, j’ai l’habitude de vivre avec.
[…]
– Tu vas galérer jusqu’à quand ? Jusqu’à ce qu’il soit trop tard, c’est ça ? Tu ne seras jamais bien nulle part. Retourner chez toi, c’est le mieux, je t’assure. […] Oh, tire pas cette tête ! La situation est pas désespérée. Au moins, tu reverras ta belle !
– Non, c’est mort de chez mort.
– Tu peux sûrement la récupérer.
– Les sentiments, ça sert qu’à en crever.
– T’as gagné le record du pessimisme ou quoi ?
– Et toi, t’es humoriste, c’est ça ?
– Non, moi, si ma vie avait tourné autrement, je serais devenue psy. Mais pute, c’est pas si différent, au final. On va trouver une solution. Les relations amoureuses désastreuses, c’est mon rayon !

Résumée de la sorte, l’histoire peut paraître pesante, mais il n’en est rien. Jusqu’ici tout va bien est un récit haletant au rythme travaillé et au protagoniste bien caractérisé. On ne peut rester indifférent au héros qui accumule les bêtises, on tremble pour lui, mais il nous fait rire aussi avec ses répliques défensives et culottées.


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– T’avais qu’à y penser avant.
– On t’a jamais appris le vouvoiement ?
C’est sorti tout seul. J’ai perdu l’habitude de surveiller mes mots et mes poings. Porter un petit uniforme trop serré, ça ne donne pas le droit de tutoyer les inconnus. « T’avais qu’à, t’avais qu’à », je vais t’en donner, moi. Ce n’est pas compliqué de donner un coup de fil, surtout que je l’ai demandé gentiment.
La Boulette approche son gros bide de mon radiateur.
– Répète un peu.
– Un peu.
Il n’apprécie pas mon humour de trois ans d’âge mental. Son front est à quelques centimètres du mien. Je ne baisserai pas les yeux. Je n’ai pas peur. Il ne me tabassera pas devant ses collègues et les blaireaux de la salle d’attente.
– Joue pas au plus malin avec moi. J’aime pas ta gueule de p’tit con.

Pourvu que Jozef s’en sorte, que son instinct de survie lui fasse prendre les bonnes décisions. Pour ne plus fuir et se fuir…

Jusqu’ici tout va bien a remporté en mars 2020 le prix Première Victor du livre de jeunesse.

Séverine Radoux