Renaud DUTERME, Petit manuel pour une géographie de combat, Découverte, coll. « Cahiers libres », 2020, 208 p., 14 € / ePub : 10.99 €, ISBN : 9782348055577
Rares sont les analyses du capitalisme, de son histoire, de son évolution, de ses crises, qui prennent en compte sa dimension spatiale. Dans Petit manuel pour une géographie de combat, Renaud Duterme démonte avec une belle puissance la logique spatiale du système capitaliste : à la géographie dite descriptive, il oppose, dans le sillage d’Elisée Reclus et d’autres, une géographie de luttes fournissant des outils de pensée et d’agir permettant de sortir d’un système mondialisé précipitant la planète vers sa ruine.
Remontant à la question complexe des origines du capitalisme, Renaud Duterme montre qu’il n’y a pas d’émergence et d’expansion d’un système économique capitaliste sans une logique spatiale de prédation. En lui-même, il est spatiophage. Les prémisses d’une proto-mondialisation remonteraient au 15e siècle, à la conquête et au pillage de l’Amérique avec Christophe Colomb. À l’heure de l’économie-monde, d’une expansion de la logique capitaliste à l’ensemble de la planète, l’entreprise d’expropriation des territoires, des savoirs, des cultures des peuples autochtones s’est accompagnée d’une mise en place de mesures coercitives parachevant la destruction des économies locales. Au nombre de celles-ci, la privatisation des terres, l’endettement programmé afin d’aliéner les peuples, le contrôle généralisé.
Ce que l’histoire globale nous montre, c’est donc bien que le capitalisme n’aurait pu perdurer sans constamment élargir sa base spatiale, seul moyen pour lui de pallier (temporairement) ses contradictions.
La planète étant finie, l’espace géographique limité, la « solution » (désastreuse pour les populations intégrées de force dans sa logique) d’une continuelle expansion des marchés touche à son terme. Désormais, le capitalisme ne pourra plus lisser ses crises par une politique d’expansion géographique, de conquête spatiale. Les armes dont il dispose encore afin de remédier à ses contradictions et instabilités structurelles se nomment la menace de délocalisation des entreprises, l’hégémonie des multinationales, la géopolitique de la dette (l’écrasement infâme de la Grèce), les Grands Projets Inutiles et Imposés et enfin la guerre. Comme l’ont montré Maurizio Lazzarato et Éric Alliez, il y a un lien intrinsèque entre capitalisme et bréviaire de la guerre. Bref, à l’heure où les nouveaux marchés à conquérir s’épuisent, afin de perdurer, il lui reste à durcir le néolibéralisme via des « politiques antisociales et de privatisation » et via les conflits armés provoqués pour surmonter une économie en crise.
À travers l’analyse minutieuse des « luttes des lieux » (David Harley) comme nouvelle forme des luttes des classes, de la « prédominance des accords commerciaux sur les autres accords (résolution de l’ONU, déclaration des droits humains, engagements en faveur de la préservation de l’environnement, etc) », interrogeant la mise en œuvre, au niveau global, d’une politique managériale de l’espace et du profit, Renaud Duterme décortique le lien entre mondialisation du capitalisme et repli identitaire, montée des populismes.
Se clôturant sur le désastre écologique actuel qui frappe l’anthropocène, l’essai pointe la source du collapsus environnemental : à savoir la logique extractiviste et d’exploitation illimitée des ressources humaines et non-humaines que professe le capitalisme depuis ses origines. Si plutôt que d’anthropocène, il faut parler de capitalocène, un constat sans appel doit être posé : il ne peut y avoir de remède, d’atténuation de la crise environnementale sans une sortie de la logique prédatrice du système.
Véronique Bergen