Être soi et le dire

Lisette LOMBÉ, Venus poetica, Arbre à paroles, coll. « iF », 2020, 61 p., 12 €, ISBN : 9782874066931

Selon la deuxième de couverture de son premier roman Venus poetica, Lisette Lombé est une « artiste queer, afroféministe, belgo-congolaise », fondatrice du Collectif L-SLAM. Ce roman est publié dans la collection « iF » dirigée par Antoine Wauters qui propose des textes transfrontaliers et privilégie la liberté de ton et le plaisir d’oser. Définitions qui caractérisent le présent ouvrage, pas tout à fait roman mais poétique sans être un poème. Il commence par une évocation de masturbation et se termine par une allusion claire au lesbianisme. Entre les deux une traversée érotique, celle d’une femme libre et libérée, deux informations évidentes. Qu’il s’agisse d’énumérations rythmées, de séries de mots éblouissantes. D’emblée se présente une fille noire qui écrit je t’aime à un garçon blond et oriente le texte sur la différence, de sexe, de couleur, de statut. De classe aussi.

Lits superposés. Tu rêves d’une chambre rien qu’à toi. Ta sœur te demande qu’est-ce que tu fabriques là-haut. Pourquoi ton lit grince comme ça ? Tu retires ta main de ta culotte. Tu as honte. Tu lances : Rien ! Je fais du rock and roll !

La comparaison s’impose entre le vocabulaire et le point de vue. Ainsi on ne confondra pas masturbation en groupe et rituel. L’action se dévide souvent par flashes. Le terme est employé en toutes lettres pour évoquer un comportement particulièrement odieux du père. L’étrangleur de Namur c’est aussi bien un personnage de fait divers que le « camarade » psychopathe ou le père en train de tromper sa femme. La narratrice a-t-elle vraiment suivi les conseils de son psy et consigné « tout » : questionnements, ressenti, expériences ? Au fond écrire c’est voir clair, l’ouverture, le soulagement. À ne pas confondre avec la thérapie. La preuve en est le texte mené à bien, conduit à son terme. Accepter d’être transgression, s’affirmer à répétition comme « la femme qui écrit », comme s’il fallait en imprimer l’évidence. La nécessité d’écrire c’est aussi donner corps au désir : « corps amoureux, sexe rieur ». Il aurait suffi d’énumérer les regrets, mais ici domine la volonté de prolonger les choses.

L’auteure s’interroge en tant que militante féministe avec tout ce que cela empêche mais aussi tout ce que cela permet : la liberté par rapport au comportement, à la parole, à l’écriture. Le besoin de douleur est-il incongru ? Non, il est vital, interdit tout renoncement et revendique le palpitement de la vie même. L’écriture est à gagner. C’est un combat dont l’issue est maîtrisée par Lisette Lombé avec Venus poetica. A-t-elle songé, au moment de décider de son titre à Venus erotica ? Non qu’elle ait une parenté avec Anaïs Nin, mais on ne peut s’empêcher de rapprocher les intitulés des ouvrages.

                                                                                                                      Jeannine Paque