Prise de rites

Un coup de cœur du Carnet

Jean Claude BOLOGNE, Rituaire, Taillis Pré, 2020, 15 €, ISBN : 978-2-87450-159-3

« […] car toi et moi, qui ne nous rencontrons que dans le geste de donner, que sommes-nous, quand le geste s’achève ? Rêve, et rêve de rêve. » ( « Kapala »)

Rituaire (paru aux éditions Le Taillis Pré) ne peut être que l’œuvre d’un amoureux des dictionnaires et des ouvrages historiques, d’un passionné des livres et du sacré, de leur mystère et de leur poésie. Ne témoignant ni d’une érudition écrasante ni d’une curiosité superficielle, ce recueil de Jean Claude Bologne s’inscrit en justesse dans la vaste bibliographie de l’auteur. Sans plus tergiverser, disons-le tout net : Rituaire est un régal.

Rituaire est un régal, car il propose, sous la forme d’un abécédaire, de découvrir de nombreux rites du monde en insistant, comme formulé dans l’avant-propos (la « mise en rite »), sur leur dimension « participative ». Car ces rites sont « des lieux d’ancrage et de sacré dans le monde : un espace circonscrit, un temps donné, un nom juste, un geste net ». Une lettre de l’alphabet, un mot (« Ambassade », « Beinhaus », « Chimpasso »,…), sa traduction, sa contextualisation dans l’espace-temps, son explication donnée par une courte notice bibliographique et son prolongement fictif et poétique : ainsi se compose cet abécédaire. Apprentissage, curiosité, imagination, respect : la lecture est littéralement enchantée, enchantée par la réunion de toutes ces qualités dans chacune des pages de ce Rituaire. Jean Claude Bologne embrasse une variété de cultures, de religions et de spiritualités en offrant à chaque fois une courte nouvelle qui donne la mesure de leur singularité.

 D’une culture à une autre, les rites s’adressent d’éloquents échos. Parce qu’ils sont d’ici et de maintenant, ils ne sont de nulle part. On ne pénètre pas en eux : on s’y abîme. 

Rituaire est un régal, car à la linéarité des lettres de l’abécédaire se superpose la dimension voyageuse du lecteur dans diverses strates de temps et d’espaces, qui lui sont aussi lointains que familiers. Les nouvelles qui prolongent le mot choisi sont brodées dans une langue sensible, comme s’il s’agissait, pour ce mot et le rite auquel il appartient, de les faire briller par une belle enluminure. Les lettrines sont par ailleurs librement inspirées d’un livre de Geoffroy Tory et numérisées par Jean Claude Bologne lui-même.

Le ciel serré entre mes doigts irradie dans mon corps. J’aspire les étoiles, les bras tendus au bout des horizons.  (« Herminette »)

Rituaire est un régal, car l’articulation du savoir au sacré, du sacré au secret y est sensible. Rituaire est un régal, car il nous donne à pressentir que nous sommes loin d’avoir épuisé notre regard : ce recueil ouvre les yeux vers tous les horizons du monde. Où prendrait-il place dans notre bibliothèque ? Une place à part, indéniablement, sans doute à côté des Feux de Marguerite Yourcenar, de l’ouvrage Littérature et ritualité de Myriam Watthee-Delmotte et du Livre des êtres imaginaires de Borges.

Charline Lambert