Un irrépressible besoin de comprendre

Alain VAN DER EECKEN, Des lendemains qui hantent, Rouergue, 2020, 304 p., 20 € / ePub : 14,99€, ISBN : 978-2-8126-1951-9

Voici un thriller qui démarre sur les chapeaux de roue. Alors qu’il vient rechercher son fils Lulu à la sortie de l’école, Martial Trévoux se trouve précipité dans une scène de folie meurtrière. Les enfants et les enseignants courent en tous sens, des coups de feu éclatent, une institutrice s’effondre. Et lui s’élance sans trop réfléchir et se retrouve avec un enfant dans les bras qu’il arrache à l’horreur. Mais l’enfant sauvé qu’il croyait être le sien ne l’est pas et le pire l’attend car il figure parmi les victimes. À partir de là, tout s’écroule. La culpabilité le gagne puisqu’il n’a pas su poser le geste qui sauve alors que le petit Lucien était sous sa responsabilité. Son épouse ne semble pas décidée à le lui pardonner. Si les manifestations de soutien ne manquent pas, lui est déjà ailleurs, tenaillé par le besoin impérieux de comprendre. Greffier de justice de son état, il brave les recommandations médicales et insiste pour reprendre le boulot. Il faut dire que son métier le place au centre des opérations et il va utiliser ce point d’attache pour garder le contact avec les forces de police et l’institution judiciaire, quitte à franchir les limites interdites. Mais que peut-on refuser vraiment à un collègue meurtri ?

Avec lui, nous allons suivre le déroulement de l’enquête et même y participer sans crier gare, car Martial Trévoux sait d’expérience que la Justice est une vieille dame qu’il faut parfois secouer.

Si les deux jeunes tueurs sont identifiés, ceux-ci sont décédés dans l’opération meurtrière et les regards se tournent vers les deux familles elles-mêmes endeuillées. Les recherches s’en trouvent compliquées, les protagonistes devant composer avec la douleur et s’estimant tous victimes. Dans cette petite ville aux apparences tranquilles, tout le monde peine à croire que de tels faits aient pu survenir. À force de chercher, on trouve bien sûr des choses, mais sans que l’on puisse établir le lien entre d’autres délits et les faits survenus.

Des lendemains qui hantent évolue dans une forme de torpeur faite d’insomnies, d’alcool et de gueule de bois. Personne ne maîtrise vraiment rien, Martial Trévoux erre entre son boulot et ses recherches, dort sur un coin de canapé chez un flic chargé de l’enquête. Dans cet entre-deux où la vie semble suspendue, les hypothèses les plus évidentes débouchent sur des impasses. Les pistes criminelles classiques doivent être écartées, au point que l’on envisage d’en rester là, faute d’éléments et de coupables à sanctionner. Jusqu’au jour où l’on tient par hasard entre les doigts le fil qui dénoue la bobine et qu’apparaissent les mobiles, plus ténus et privés qu’on ne l’avait pensé.

Comme dans bien des thrillers actuels, l’intrigue policière ne fait pas à elle seule la valeur de ce roman. C’est dans la troublante humanité des personnages et dans le rendu de leur désarroi que le texte puise sa force et c’est bien sûr dans les relations qui se nouent entre eux que s’affirme la puissance de cette fable. Alain Van Der Eecken pointe aussi avec tact la limite étroite entre le besoin de comprendre et l’envie terrible de vengeance qui suivent les effets dévastateurs de la mort d’un enfant.  S’y ajoute une dose d’humour un rien corrosif (mais jamais trop) qui finit de faire le charme d’un texte dont on hésite à tourner la dernière page tant il a réussi l’air de rien à nous y inclure. N’est-ce pas là de la belle ouvrage ?

Thierry Detienne