La rage au corps

Catherine LOCANDRO, Cassius, Albin Michel, 2019, 242 p., 15 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 9782226437570

La collection « Litt’ » chez Albin Michel Jeunesse est assez intéressante dans la mesure où elle propose des biographies romancées d’hommes et de femmes qui ont marqué l’histoire. Par exemple, on peut y découvrir le destin particulier de Simone Veil, Marie Curie ou Katherine Johnson.

Dans Cassius, Catherine Locandro nous propose de plonger dans l’enfance et l’adolescence de Cassius Clay, surnommé plus tard Mohamed Ali. Cassius a grandi à Louisville (Ohio) dans les années 1950 avec ses parents et son frère cadet, Rudy. La vie n’était pas toujours un long fleuve tranquille avec un père colérique souvent ivre, parfois violent, mais l’amour bienveillant de « Mama bird » a permis de maintenir la cellule familiale soudée et de faire grandir deux garçons solides.

Cassius a grandi à l’époque de la ségrégation raciale, où les Blancs et les Noirs ne pouvaient pas partager les écoles, les restaurants, les cinémas… Les personnes de couleur se pliaient à cette injustice, qui a marqué au fer rouge le héros : à plusieurs reprises, il n’a pu retenir ses larmes face à des interdictions insensées.

C’est une anecdote qui a fait entrer Cassius dans la boxe : un jour, quelqu’un lui vole son tout nouveau vélo. Furieux, il décide d’apprendre à boxer pour en découdre avec le voleur, s’il le retrouve. Le voilà plongé dans le microcosme de la boxe, séduit par ses codes sociaux, mais aussi et surtout le mélange des couleurs de peau parmi les sportifs. Une étincelle vient de s’allumer dans ses yeux.

Une fois dans la salle, [il] ressent le mélange de concentration et d’énergie brute qui se dégage des jeunes boxeurs. Certains sautent à la corde, d’autres tapent dans des sacs, d’autres encore se regardent boxer dans un grand miroir. Chacun est absorbé par ses propres performances et par le désir de se dépasser. Toutes ces sensations s’imposent à lui et l’envahissent sans qu’il ait vraiment de mots pour les décrire. Simplement, il a l’impression de pénétrer dans un lieu à part, avec ses rituels et ses propres règles. Sa propre respiration. Et il est intimidé […]

Il faut dire que Cassius a une personnalité adéquate pour devenir un sacré boxeur : très sûr de lui, bourré d’énergie, colérique, impulsif, endurant et déterminé, il se lance à corps perdu dans ce sport qui va devenir son obsession. Très vite, son parcours est jalonné de succès : des entraînements aux premiers combats, de la catégorie poids léger au poids mi-lourd, amateur puis professionnel, il réussit les épreuves jusqu’à obtenir la médaille d’or aux Jeux Olympiques à Rome, puis le titre de champion du monde en poids lourd.

Le secret de Cassius ? Après avoir reçu une droite, il se redresse et frappe encore plus fort, avec toute la fougue qui le caractérise. La boxe le transcende : sa rage viscérale jaillit de ses poings, il désarme ses adversaires avec la puissance de ses coups et la légèreté de « ses pas qui dansent ». Cassius Clay est un boxeur unique et authentique.

Petit à petit, Rudy assiste à la naissance du style si particulier de son frère. Cette façon de se tenir bien droit, de balancer la tête en arrière pour éviter les coups sans jamais quitter son adversaire des yeux, de tenir sa garde basse, de feinter… Toutes ces choses qui sont déconseillées aux apprentis boxeurs mais qui lui réussissent. Même Stoner, qui lui reprochait sa mauvaise défense, finit par le laisser faire.

Par ailleurs, le héros dérange et fascine les médias. Autant il adopte une discipline rigoureuse lors de ses entraînements, autant il se vante devant les journalistes, clamant qu’il est le meilleur. Il joue avec eux, car il a bien compris comment attirer l’attention, fût-ce en se faisant haïr.

Le contraste du personnage est saisissant ; l’autrice a su mettre en valeur son ambivalence sans jugement et avec justesse. Elle a en effet choisi de raconter son histoire à travers le regard de sa mère, de son frère, puis de son entraîneur chez les professionnels. Leur point de vue extérieur et bienveillant permet au lecteur de continuer à s’identifier au boxeur, malgré ses frasques et ses provocations. Catherine Locandro a fait exister la famille de son héros, son frère vivant dans son ombre, mais aussi le rapprochement du boxeur avec Malcolm X (le leader des Black Muslims), ainsi que son changement de nom, brièvement mentionné à la fin du récit. Un parti pris de bon aloi qui donne du relief au héros.

Séverine Radoux