Jacques IZOARD, Vin rouge au poing, Arbre à paroles, 2020, 110 p., 13 €, ISBN : 978-2-87406-690-0
Il était le poète du soudain. À ses yeux, sous ses doigts, ne valait que la sensation pure. Combien aura-t-il disséminé de ces textes fulgurants, qui sont autant de saisies sensuelles, d’images gravées au vif argent d’une mémoire inscrite dans « le passé qui reste et le présent qui passe » ?
Avec la réédition de Vin rouge au poing, initialement publié en 2001, L’Arbre à paroles nous restitue la parole toujours vivace de l’homme à la fois délicat et caparaçonné, bourrelé de complexions intimes et d’une sensibilité à fleur de peau, que fut Jacques Izoard (1936-2008).
À chaque page, une déambulation s’amorce, un départ se dessine en compagnie de ce flâneur impénitent, toujours piaffant de partir à la découverte de quelque atlas muet. Le voici arpentant en quinconce, un aveu, deux mystères, les trottoirs de sa Cité ardente, où, modeste, il se décrétait « frappé de cécité » alors qu’il en fut le plus parfait Voyant. On le débusque dans son jardinet des hauteurs du quartier Chevaufosse, où il caresse un tronc – végétal ? humain ? les deux ? – pour oser réaffirmer « Arbre est arbre ». On le croise rue Saint-Éloi, à quelques encablures de la Meuse, convoquant les noyés pour lui flanquer le pas, en ombres de son ombre. On le frôle sur un quai, dans un parc, une ruelle ou une salle illuminée de chandeliers massifs, à Rome, à « Paris bleu » ou en Outremeuse : c’est toujours lui mais jamais le même, ayant bien retenu la leçon d’Aragon selon laquelle « tout est affaire de décor ».
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Dissimulée en son palais, sa langue de buis, jamais de bois, se tapit, exprimant en secret savoureux le trouble de l’androgynie, son inextinguible soif de bonheur, l’intensité de vivre à la minute la minute. Les souvenirs d’une enfance au bord de l’Ourthe s’entrelacent au bruissement des questions qui gagnent à rester sans réponse – sinon, à quoi bon les formuler ? Les « infimes chaos » qui ponctuent l’existence se percutent, sans rien bouleverser apparemment de l’ordre cosmique, mais trouvent leur écho le plus vaste dans la conscience du poète, toujours en éveil, lui, et « buvant sa propre foudre ».
Encore aujourd’hui, Izoard circule parmi nous. Il touche à tout, aux onguents, aux carats, en enfant qui a désappris la sagesse, déjoué les pièges de la raison et a tiré de ses dépouillements successifs une leçon définitive : écrire n’octroie qu’un pouvoir, mais le plus haut, celui de nommer.
Vin rouge au poing
tu nargues ou tu souris ?
Izoard ne répondra pas, fût-ce d’une « voix vierge ». C’est à nous désormais qu’il incombe de renouveler indéfiniment la chance d’aller à sa rencontre.
Frédéric Saenen