Sonnets salés sans moraline…

Un coup de cœur du Carnet

Laurent ROBERT, Sonnets de la révolte ordinaire, Aethalidès, coll. « Freaks », 2020, 141 p., 16 €, 978-2-491517-04-5

laurent robert sonnets de la revolute ordinaireParmi les plaisirs de la littérature, il y a celui de la découverte. Celle de dénicher par exemple un auteur dont on se sent proche immédiatement, au premier coup d’œil, et la surprise de repérer un éditeur que l’on ne connaissait pas encore la veille. Double plaisir donc ici avec ces Sonnets de la révolte ordinaire de Laurent Robert parus chez l’éditeur lyonnais Aethalidès. Une maquette sobre, élégante, un papier de qualité, une typographie aérée et le titre d’une collection – Freaks – qui donne le ton, à la fois insolite et provocateur !

Aucune déception à l’ouverture du recueil. Laurent Robert qui est chercheur en littérateur annonce la couleur d’emblée. Se colleter à la forme classique du sonnet pour écrire une chronique contemporaine des « plaisirs et des jours » qui filent. Le plaisir encore une fois qui pourrait constituer d’ailleurs le fil rouge de ces échos à la fois balisés (par la forme choisie) et buissonniers (par les sujets abordés)  tant on perçoit celui que l’auteur prend à la rédaction de ces éclats du quotidien. Le poète qui maîtrise son matériau n’hésite pas à en jouer, décalant, selon ses humeurs, selon le propos, l’ordre des quatrains et des tercets, usant çà et là, comme en passant, de figures de style, de centons, de mots-valises pour mieux souligner l’absurdité d’une situation, la vanité d’un sentiment. Une sorte de jeu-parti que Laurent Robert engage avec le sonnet lui-même.

Il fallait bien en passer par
Là méditer la grande forme
Afin d’arriver quelque part
Dans un néant où nul ne dorme
Il fallait de discrets écarts
Loin du chacal et de l’orme

Sans jamais se prendre au sérieux même si certains des sujets effleurés le sont, le poète multiplie les références érudites ou populaires passant sans ambages de Clément Marot à Patrick Bruel, de Jacques Prévert à Michel Sardou, de Baffo à Damso. Et si la plume pique parfois, c’est toujours avec désinvolture, sans méchanceté mais lucide et perspicace même quand elle se retourne contre le poète lui-même et « son élégie je-m’en-foutiste ». Des vers sans ponctuation si ce ne sont les deux points, d’interrogation et d’exclamation, qui jalonnent le texte comme autant de questionnements scandés par la révolte douce d’une sentence assumée ! Peut-être un repons à l’aphorisme de Wilde : « on peut toujours être gentil avec les gens dont on se moque totalement. »

Réaliste et atrabilaire
Il sait où finira sa glaire
Sciemment sucée par quel enfer

Ses ans derniers seront sans gloire
Poète ? Non mais quelle poire !
Va boire un pot chez Lucifer !

L’autre mérite de ces petites versifications est à chercher du côté de la dérision et de l’humour et on sait que l’ironie en poésie constitue certainement l’exercice de style le plus difficile. Mais Laurent Robert est un dribbleur, courant droit au but, taclant juste ce qu’il faut pour éviter, agile, l’exclusion par carton rouge. C’est amusant, parfois jubilatoire, toujours surprenant ! Qui aurait l’audace de faire rimer Facebook et plouc, Ikea avec aléa ? Et pourtant !

Au-delà de l’humour, il y a les thèmes abordés, sujets qui interpellent chacun, l’égoïsme, la politique, la servilité, l’obséquiosité, la vanité de la notoriété, le sexe, les corps et le temps qu’il fait. Le poète touche à tout, ose beaucoup sans pour autant déraper même s’il frôle de temps en temps la bordure. Peu importe car elle fait du bien cette douce irrévérence !

Enfin, Laurent Robert nous propose, sous forme de postface en quatorze fragments, une promenade à travers le sonnet en littérature. Faisant appel à sa mémoire, l’auteur grappille dans l’histoire littéraire et nous livre quelques anecdotes, quelques références le plus souvent à des auteurs que l’institution académique a relégués en note de bas de page. Autant d’hommages du poète à ces petits maîtres qui auront pour certains inspiré les plus grands, Soulary, Tailhade, Coppée, Norge, ou d’autres contemporains comme le breton Yvon Le Men ou encore Jacques Roubaud. Car le poète le sait, ce sont bien les livres qui engendrent les livres.

Une seule conclusion s’impose ! Ne pas hésiter, par ces temps de cardiogramme plat, à compulser ces 112 sonnets, le désormais nouveau service d’urgence poétique.

Rony Demaeseneer

Extrait proposé par les éditions AEthalidès