Lorenzo CECCHI, La solitude des anges gardiens, Nouvelles, Traverse, coll. « Lentement », 2020, 168 p., 17 €, ISBN : 978-2-93078-335-2
Né à Charleroi en 1952, Lorenzo Cecchi a commencé à publier tardivement avec un premier roman remarqué, Nature morte aux papillons (Castor Astral éditions, 2012). Il fut ainsi sélectionné pour le Prix Première de la RTBF, ainsi que les prix Alain-Fournier, Saga Café et des lecteurs du magazine Notre Temps. Depuis, l’auteur belge, prolixe, alterne romans et recueils de nouvelles : La solitude des anges gardiens est son neuvième titre.
Ce recueil propose quatre nouvelles et, à travers elles, toute une atmosphère à l’italienne. Des hommes sont au cœur de ces récits, Felice et Pierino ; Francesco francisé ou plutôt belgicisé en François ; Fernando di Mauro et Armando ; Tristano et son patron Hugo Marazzi, mais aussi des femmes qui sont loin d’être des faire-valoir : la tante Adriana, institutrice qui a élevé Felice après la mort de sa mère emportée par la grippe espagnole alors que le garçon n’avait que 6 ans et qui le rabroue pour ses engagements communistes et universalistes ; Carine, l’épouse, lassée par la passion de Francesco qui vibre davantage pour ses affaires et ses entreprises que pour sa famille, au point de le quitter contre toute attente ; Roxana, la belle et jeune Roumaine pour laquelle s’est endetté Armando le maçon quinquagénaire et, enfin, Gisella, qui noue une passion torride avec l’entrepreneur Hugo Marazzi, ce que le mari et chevalier d’entreprise Jean Grenier ne laissera pas passer. Et ce ne sont pas les avertissements du fidèle carreleur, Tristano, qui empêcheront l’issue fatale. Sans oublier quelques personnages secondaires – un membre des chemises noires, un Danois au cœur brisé et amateur de rhum, un apprenti qui se mue en justicier, deux ouvriers polonais -, qui n’ont de secondaires que le nom car leur présence apporte du relief à la narration.
En quelques traits, Lorenzo Cecchi donne vie à ses personnages, fait vibrer notre lecture de leur présence forte et sensible, tant ils sont porteurs d’une destinée croquée en quelques mots. Un exemple de cette concision avec le début de la première nouvelle, Felice-Jambe-de-Bois, qui commence par une interpellation forte de la tante Adriana qui coupe la parole à son neveu Felice :
Tais-toi, ça suffit ! Regarde, vois la richesse de cette terre, sens la force de vie qui en émane, apprécie sa générosité nourricière, admire sa volonté protectrice, puissante, inépuisable. Ce pays (elle balaya du bras en un demi-cercle), n’as-tu pas le sentiment que tu lui appartiens, n’éprouves-tu pas pour lui l’amour du fils pour sa mère ? Mon dieu comme je te plains ! Ne t’ai-je donc rien enseigné ? L’Internationale… Comment peut-on adhérer à pareille bêtise ? Cher fils, le citoyen du monde est étranger partout. Chéris les tiens, aime-les de tout ton cœur, mon garçon, c’est l’unique façon d’apprécier l’autre, de le respecter, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne.
Un cri du cœur qui veut dépasser les tensions idéologiques et mettre en avant l’amour d’un pays auquel Lorenzo Cecchi rend hommage en situant ses histoires dans le petit village de Montelupone, près de Macerata, Senigaglia, près d’Ancône, Latina, Spoleto et Monteluco, Saverno et Pescara, mais aussi Cunicchio et Montelupino dans les Abruzzes, autant de toponymes qui colorent ces récits de sonorités solaires comme le « parler des Abruzzes, et en particulier celui de cette province de Chieti. »
Des personnages forts et un pays évocateur, mais aussi l’évocation d’un monde en crise. Lorenzo Cecchi a exercé plusieurs professions, notamment dans l’univers entrepreneurial : il y puise l’inspiration pour décrire les dures lois du monde des affaires, les passions qu’il peut susciter, les défis que soulèvent les restructurations, l’exploitation de la main d’œuvre étrangère, la crise financière de 2008, etc. Toutes ces réalités fragilisent plusieurs des protagonistes. Quant au titre générique, La solitude des anges gardiens, qui ne reprend pas celui d’une des nouvelles, contrairement à une habitude éditoriale, celui-ci nous a intrigué et nous en avons demandé l’origine et l’explication à l’auteur :
Il m’est venu à la fin de l’ouvrage. Je me suis dit qu’il me fallait un titre générique, un titre qui reflétait l’ambiance générale des quatre nouvelles : personnages ballottés par leurs destins, des destins incontrôlables, forgés par les hasards dont nul ange gardien (que ces anges soient des amis, des parents, les autorités diverses qui régissent aussi nos vies pour qu’elles tendent vers le risque zéro) ne peut les prémunir car, par définition, imprévisibles. C’est le drame de notre fragilité que j’ai voulu exprimer par ce titre.
Michel Torrekens