Papiers de famille

Françoise DUESBERG, Couple, Academia, 2020, 2018 p., 20 €/ ePub : 14.99 €, ISBN : 978-2-8061-0545-5

duesberg coupleVoici un roman qui prouve à merveille, si besoin en était, que des souvenirs familiaux peuvent servir de terreau à de véritables œuvres littéraires. Françoise Duesberg a bénéficié du fait que ses père et mère prenaient note de tout et conservaient soigneusement leurs échanges écrits, les souvenirs consignés. Elle a compulsé ces matériaux, qu’elle a complétés de ses propres souvenirs tout en imaginant, forte de ces informations, les espaces couverts de silences.

Avant de former un Couple, ses parents ont une famille propre dans des univers complètement distincts. À Verviers côté paternel, à Marchienne côté maternel. La famille Duesberg est active dans l’industrie finissante de la laine et exploite tant bien que mal une petite usine ; les parents de la mère tentent leur chance au Congo et leur vie d’expatriés les sépare de leur fille confiée à une parente. Les tourments de la guerre les touchent également, tout comme les grandes questions qui traversent la société. Ce qui réunit Freddy et Jacqueline, ce sont leurs études de philologie classique à Liège. Mais aussi, rapidement, un goût immodéré de la lecture, la passion de la musique, la fréquentation des cinémas et des théâtres et, surtout, le plaisir des balades dans la nature. Universitaires, ils cultivent un souci de simplicité volontaire dans leur vie quotidienne lorsqu’ils s’installent en région bruxelloise et ce jusqu’au bout de leur existence. De tout ceci, il nous reste des traces écrites, souvent sous forme de courriers postaux, en prise directe avec leur perception en temps réel, ce qui s’avère bien précieux.

Ce qui fait l’unité du récit, ce sont les derniers moments de vie de ce couple relatés par l’autrice. Tous deux avaient convenu de « partir ensemble ». Ces moments très forts donnent évidemment une empreinte intense au texte, et l’écriture du roman que nous tenons à présent représente bien entendu une étape dans le processus de deuil.

L’autrice ne se cache pas derrière la vie de ses parents, elle ne se borne pas à énumérer des souvenirs en simple témoin. En consignant les faits, elle nous livre aussi un regard guidé par la formation qui lui a valu l’obtention du grade de docteur en sciences sociales. Et c’est tout un siècle qui passe par ce prisme, ce qui nous vaut que les faits ne soient jamais présentés de manière brute, pas plus que les émotions qu’ils inspirent à la narratrice. C’est précisément l’alternance des registres (le rendu précis nourri des documents, leur mise en récit continu, le regard sociologique porté sur ceux-ci et les sentiments qu’ils éveillent) qui fait le charme et la valeur indiscutables de cette fresque. À nous dire ainsi l’histoire des siens, Françoise Duesberg nous narre aussi la nôtre avec une finesse touchante de justesse. Et elle suscite aussi cette question : que restera-t-il d’ici un siècle de nos vies quotidiennes retenues temporairement dans nos fragiles échanges virtuels ?  

Thierry Detienne