Langue-jerrican et recueil-phénix

Lisette LOMBÉ, Brûler Brûler Brûler, Iconoclaste, coll. « L’Iconopop », 2020, 12 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-37880-167-0

lombé bruler bruler brulerCes jours-là
jours de énième scandale pédophile,
énième bavure policière,
énième féminicide,
énième incident mortel dans une usine,
ces jours-là,
lendemains d’élections, d’attentat, de cataclysme,
ces jours-là,
une lave noire et visqueuse déboule dans ma gorge
et carbonise toutes mes belles petites phrases humanistes
qui me sauvent tous les jours sauf ces jours-là. 

Alors, Lisette Lombé colle. Elle accole trois verbes à l’infinitif : Brûler Brûler Brûler. Davantage qu’un mode verbal très présent dans son écriture, l’infinitif igné figure la démarche de Lisette Lombé, poétesse et grande figure du slam en Belgique. Ce verbe exulte dans ce recueil publié aux éditions Iconopop. Celui-ci réunit, comme en un grand collage, des textes issus des ouvrages Black Words (L’Arbre à paroles, 2018) et Tenir (Maelström, 2019) et il est augmenté de puissants collages d’images en noir et blanc réalisés par la poétesse.

Résolument féministe, antiraciste, politique, Brûler Brûler Brûler invoque les cendres – les cendres des systèmes oppressifs, insidieux, aliénants et bien ancrés dans le ciment de la société, où « ça pue la régression à dix mille kilomètres à la ronde, ça pue les types qui jouent des coudes et de la crotte, ça pue le rance, prisonnier dans les replis, ça pue […]. » Ce livre est un recueil-phénix, où des cendres des fachos renait, tissé de « lianes-sœurs », la danse des grands feux du vivant.

Parler d’ « activité d’écriture » prend pleinement son sens avec Lisette Lombé, car sa démarche s’affirme active : « De là où je parle, de là où je suis, je sens ». Dans Brûler Brûler Brûler, elle renverse les rôles hiérarchiques et sémantiques, où le sujet n’est plus le « patient », celui qui subit. Ce sujet, dans ce recueil, est celui des « derniers rangs » : il est noir, il est gay, il est femme, il est handicapé – il est la minorité. Il devient l’« agent », l’« actant » de sa propre énonciation : il s’approprie la parole qui lui revient en droit. Il soulève ce qui (s’)émancipe. Il dénonce. Il s’élève. Il s’érige in fine en une première personne du singulier qui se charge de répercuter le son de toutes les voix bâillonnées.

Voilà ce que je verrais : un majestueux animal collectif ! Un gigantesque poisson aux écailles métalliques avec chaque écaille-femme, chaque écaille-fille, chaque écaille-mère à sa manière pour riposter contre la violence du système. 

Langue-jerrican, ponctuée d’exhortations vers l’avant ou de travellings arrière, son essence réside principalement dans le feu dont elle procède – feu de rage, de colère ou de joie – en lui apposant le sceau de l’incompromission. Somme toute, changer de perspectives, de format, de taille des lettres pour toujours trouver l’adéquation entre la parole et le monde, en n’hésitant pas à couper, à cranter, à trancher dans le vif : « Et je ne m’excuserais pas du mot ‘guerrières’ car c’est exactement ce que je verrais. »         

Charline Lambert