À l’instinct et l’instant

Iocasta HUPPEN, Oh, et puis zut !, Bleu d’encre, 2020, 74 p., 12 €, ISBN : 978-2-930725-33-8

huppen oh et puis zutL’ouvrage se conclut par un pédigrée poétique plein de concours, publications et prix. Iocasta Huppen en est à son cinquième recueil de haïkus. Celui-ci, Oh, et puis zut ! est son deuxième chez Bleu d’encre. La couverture est un autoportrait composé de quatre cailloux et trois pommes de pins, et la quatrième de couverture annonce des « poèmes d’humour ». Cependant, les aspects techniques ne sont jamais loin car l’auteure est aussi animatrice d’ateliers d’écriture. Ainsi, elle explique que ses haïkus sont, dans cette publication, davantage des senryu, ce qui « a comme sujet principal les faiblesses humaines ».

K + J
POUR TOUJOURS
jusqu’à ce que l’arbre tombe

Similaire au haïku, la lecture d’un senryu se veut aussi légère que l’air respiré lors de sa composition. La lettre semble ainsi effleurer le papier plus qu’elle ne s’y imprime. C’est l’espérance et l’exigence du genre : l’instant embrase l’esprit et tout l’environnement immédiat embrasse le corps. L’instant libère ainsi de la pensée, de soi, du monde. Quoique… ce même instant est plein comme un œuf, il est parfait, immanent, instinctif et pulsionnel. Il est tout de sensibilité. Ici, il se veut même drôle, défiant la raison. L’instant est surprise, tout comme l’humour.

Départ imminent
crème solaire, maillot de bain
Et masque en tissu

Humour et humeur s’épousent à et en l’instant. Un haïku, un senryu, cela ne s’écrit pas vraiment, cela se cueille comme le jour d’Épicure. Ils sont une espèce de nostalgie immédiate. La main inscrit un moment si bref qu’il ressemble fort au fameux instant décisif de la photographie. Le poème suspend l’air comme une lentille capture la lumière pour la graver sur les plaques sensibles du cerveau et du cœur. Cette impalpabilité est commune aux temps courts du haïku, du senryu et de la photographie.

Coup de bol
Mon carré d’herbe au soleil
Épargné par les nuages

Cette matérialisation de l’air et de la lumière peut être prise pour l’un des actes fondamentaux de ce qui fait humain. Le temps fuit et nous tentons de le maintenir dans un espace, de l’exprimer en l’imprimant. Voilà bien l’enjeu ; infini et infinitésimal. À plaisir et facilité de lire Iocasta Huppen, son livre et sa lecture se réduisent finalement au poids plume d’un nuage ; écran moelleux et contemplative frontière entre ombre et lumière. C’est ainsi que l’auteure nous offre de partir au ciel avec elle, éternelle amoureuse.

Quarante neuf ans
et pas encore goûté
À la pomme d’amour

Tito Dupret