Suite en mode Miseur

Claude MISEUR, Sur les rives du Même, Arbre à paroles, 2020, 108 p., 12 €, ISBN : 978-2-87406-699-3

miseur sur les rives du memeDédié à Rio di Maria, avant-proposé par Éric Allard, publié par L’arbre à paroles avec l’aide du Fonds national de la Littérature, Sur les rives du Même de Claude Miseur, actif auprès de diverses associations littéraires, au service de la cause des écrivain(e)s, a des allures de lettres nationales. Illustrées de six peintures sculptées par Ferderim Lipczynski, l’ouvrage touche à la sobriété et à la gravité. Le premier poème, parlant bas / de peur d’éveiller / la perte et le manque, prévient et prépare le lecteur.

Rapidement une personne, une âme, circule fantômatiquement entre les lignes et oscille dans les pages du recueil : quel faux-pas / provoquer / pour te rendre / mémoire / d’un simple égarement. Une tristesse, de celles insondables et que seule la poésie ose fouiller, à contre-courants et barrages intimes, irraisonnablement et sans espoir : un requiem saisit sur-le-champ et s’approfondit de poème en poème. Sois le brisant des mots / sur ce rivage vain / où les heures patientent / comme autant d’appâts de sable.

Sans espérance, Avec presque rien / tu prolonges un simple trait / et c’est un cercle / autour de nulle part / un vide où se répand / tout ce qui pourrait / être dit. Silence donc, dit dans l’écriture puisque sans autre voie possible. La poésie est la forme privilégiée des sentiments enfouis et l’auteur partage ici, sans concession avec les vivants, son adresse à la mort ; son impasse. Flot de sang, La sève sous le sang, peur et sang… Sangs, sables et lèvres sont omniprésentes, perlent dans l’ombre et pigmentent les textes, rejoignant ainsi les humeurs sombres des sévères peintures ici reproduites ; de gris et jaunes balafrés, hachurés, texturés, brutalement arrachés à la matière des huiles séchées avec les larmes.

Du constat sans appel en première partie, la deuxième se tourne vers le premier âge et Je tombe / encore / je tombe / de cette cabane qu’enfant / j’avais rêvée / dans mes arbres. Entre leurs feuilles et celles du livre, l’auteur dessine des jardins où l’envol prend de l’ampleur puis trébuche, écorche des cœurs gonflés, notamment avec ce poème plusieurs fois vertical et très pictural : Le ciel / si lourd / si proche / qu’il en devient d’encre / et caille comme le lait / renversé / à ta rencontre.

Au troisième acte, s’y révèle un passage qui dit au mieux le travail du poète : Mon île / regorge de fleuves / dont je ne soupçonne / ni les sources ni les rives / elle émerge parfois / du creux de ma main. Où l’île est bien sûr le poème, comme un moment et mouvement de salvatrice respiration. Les fleuves sont profonds d’émotions entre les sources et rives de l’inconsolable dévoilé par seul l’écrit, le manuscrit. Consciencieux, car à la fois lucide et attentif, Claude Miseur clôt d’un texte qu’il souhaite rassurant après nous avoir, sans compromis disais-je, maintenu la tête sous les vagues et lames de ses mots :

Rien de grave
au large d’ici

simple feu
de langage
à bord

Tito Dupret