À la recherche des déesses grecques enrobées

Guillaume DRUEZ, Nous, les grosses, Oiseaux de nuit, coll. « Romans à jouer, pièces à lire », 2020, 78 p., 10 €, ISBN : 978-2-931101-00-1

druez nous les grossesBlanche, 46 ans, souffre de boulimie. Certain·e·s sont accros au sexe, à la cigarette, à l’alcool… Elle, c’est le sucre. En totale franchise, Blanche nous raconte ses déboires avec les régimes, ce fichu calcul de l’IMC (indice de masse corporelle), ses conseils pour une pesée réussie, cette horrible étiquette d’ « obésité modérée » – qui, comparée à l’ « obésité morbide » est encore acceptable… Être grosse, c’est aussi avoir son lot de regards, de réflexions à demi-mot, de remarques hypocrites, méchantes ou psychologisantes : « Oh, elle doit certainement compenser un manque, une perte… ». Mais n’a-t-on pas le droit d’être gros·se, un point c’est tout ?

Nous assistons à un véritable inventaire de l’obésité. Il y a les grosses de naissance et celles qui le sont devenues suite à une grossesse ou une rupture. Il y a aussi les faux·sses gros·ses : les hommes de plus de 40 ans avec leur ventre bedonnant et les femmes aux hanches développées. Entre colère et appréhension, parfois presque délirante, Blanche digresse et nous expose tout, sans prendre de pincettes. Elle se montre même très dure vis-à-vis de ses pairs, notamment celles et ceux qu’elle nomme les « morbides ». Assume-t-elle son poids ou cache-t-il un profond malaise ? Elle rejoint le groupe des « Outre-mangeurs anonymes » mais n’y trouve pas sa place. Ses crises de boulimie peuvent durer plusieurs jours. Elle mange alors à toute heure, en très grande quantité. Elle se remplit, remplit, remplit pour oublier la vacuité de son existence. Mais sa boulimie n’est-elle pas une façon de panser son cœur brisé ? Est-ce la faute de sa mère, elle-même grosse ? Doit-elle agir, est-elle prête à assumer son poids et « montrer sa graisse à la face du monde » ?

Nous, les grosses, texte tragi-comique de Guillaume Druez publié aux éditions Les oiseaux de nuit, parle d’obésité – sujet qui reste bien souvent tabou –, d’addiction, de féminité, du regard de l’autre. Au-delà, le récit évoque les comportements compulsifs et les dérives de notre société de consommation. Derrière la plume directe et incisive de l’auteur, on imagine parfaitement l’actrice belge Stéphane Bissot – qui est l’interprète du texte – avec sa spontanéité, son merveilleux talent, ses rondeurs et sa gaieté renversante. Le texte affiche un humour piquant. La création de la pièce qui devait se tenir en décembre 2020 au Théâtre de la Vie est reportée en mai 2021. En attendant la réouverture des salles de spectacle, plongez-vous dans les textes de théâtre, en découvrant notamment la nouvelle maison d’édition « Les oiseaux de nuit », dédiée au théâtre et dirigée par Aurélie Vauthrin-Ledent qui, en quelques mois, a déjà pu rassembler une belle petite collection d’œuvres.

Émilie Gäbele