Cadavres en tranches

André STAS, Un second cent de nouvelles pas neuves, Cactus inébranlable, 2021, 120 p., 15 €, ISBN : 978-2-39049-030-2

stas un second cent de nouvelles pas neuvesC’est trop peu dire que de définir André Stas comme un ‘pataphysicien (n’oublions pas l’apostrophe introductive, aussi indispensable qu’un porche à une cathédrale bien qu’elle n’ait d’autre fonction que de susciter d’interminables querelles entre aficionados sur le non-sens qu’elle incarne). ‘Pataphysicien certes, mais aussi collagiste, surréaliste, poète, aphorismophile et, en fait, pratiquant toutes les facettes de l’art de fourrer ses doigts taquins dans les trous de nez de la littérature. Et voici qu’après un premier opus du genre, c’est un « Second cent de nouvelles pas neuves » qu’il fait rouler sur le tapis de jeu. Rappelons que ce titre, comme le précédent, fait référence aux Cent nouvelles nouvelles, premier recueil du genre en français, largement inspiré par le Décameron de Boccace, et dédié à Philipe le Bon par un auteur dont l’identité reste discutable. Comment les titres de textes généralement gaillards, tels que La méprise du curé de sainte-GuduleLe clystère mystérieux n’auraient-ils pas « stimulé » (terme de français archaïque signifiant « boosté ») les appétits ludiques et les chantiers iconoclastes de Stas ?

Le jeu, comme on sait déjà, consiste à s’emparer d’écrits existants, signés de plumes aussi diverses que connues (de Vian à Queneau, à Jung ou à James et bien d’autres), d’en extraire des phrases au petit bonheur et d’accrocher l’un à l’autre ces wagons adventices pour former un train fantôme, du coup parfaitement inédit et dénué de tout autre sens que celui dont le lecteur, soucieux comme il se doit des bonnes formes, peut s’escrimer, souvent en vain, à chercher le fin mot. Comme le souligne Daniel Arnaut dans une postface des plus sagaces : « C’est que nous n’aimons pas lire pour rien. La lecture exige de nous un effort dont nous attendons la juste récompense. Sous leur apparence ludique, ces « nouvelles » en disent long sur le fonctionnement de l’esprit humain, sa propension à chercher partout de la cohérence, et à en fabriquer s’il n’en trouve pas, pourvu que l’objet proposé ait les apparences d’une totalité ou d’une continuité ». Outre ce constat psychologique majeur, il faut accorder à « l’auteur » le bénéfice de la gratuité entière et totale de ce travail, fruit du seul hasard. Ne pas confondre cependant ce « cent » avec les « cadavres exquis » vu qu’ici le joueur est tout seul à mettre en tranches et à l’aveugle, le cadavre, unique lui aussi. Ni avec les centons oulipiens  qui, comme l’ensemble de cette discipline (le mot n’est pas trop fort), refusent les beautés reposantes de l’aléatoire en s’imposant des contraintes qui relèvent parfois des plus hautes mathématiques ou d’éléments aussi abstrus que la théorie des « chaînes de Markov » (dont on nous apprend que « le futur, à partir d’un présent connu, y est indépendant du passé »). Foin donc de ces difficultés qui corrompent la pureté originelle de la démarche stassienne et font fi du double avantage d’être à la portée de tous les QI et d’éviter magistralement de se casser la nénette.

Cela dit, un autre problème se pose. Il n’est pas un mot de ces cent nouvelles qui ne soit le fait de l’écrivain choisi. Par contre, on ne saurait contester que le résultat final soit l’œuvre du bernard-l’ermite qui en a investi la coquille. Alors, n’y a-t-il pas là de quoi rendre fou tout spécialiste du droit d’auteur mis dès lors dans une situation analogue à celle célébrée par la doxa, du caméléon engagé sur une couverture écossaise ?

Ghislain Cotton