Tu seras un homme, mon fils

Claude RAPPÉ, L’écolière, Lilys, 2021, 153 p., 17,50 €, ISBN : 97823900560074

rappé l'écoliereClaude Rappé est une personnalité médiatique connue pour avoir travaillé durant une vingtaine d’années à la télévision RTL, mais il nous dévoile dans L’écolière une part méconnue de lui à travers le récit de son enfance et son adolescence dans le Brabant wallon et Namur.

Avec pour toile de fond les références culturelles des années 60 et 70, nous sommes amenés à lire les souvenirs de jeunesse de l’auteur racontés avec un fil conducteur sous forme d’associations libres. Tel un explorateur qui revient sur ses expéditions, l’auteur nous fait découvrir sous le prisme de ses sens ses expériences fondatrices avec ses parents, ses camarades d’école, ses enseignants…

J’avais l’âge naïf, l’intelligence instinctive, la culture en appétit, un cœur à l’étale affamé de liberté et paradoxalement repu de confort. La laisse qu’allongeaient mes parents au fur et à mesure que je grandissais me semblait toujours trop courte. L’herbe sentait bon dans le pâturage voisin. Le vent des envies portait plus qu’il ne freinait. Les arbres étaient mes amis, mes refuges, mes tours de Babel. Les barbelés et clôtures des frontières à franchir, des appels à l’école buissonnière, les domaines interdits d’horizons désirables. L’humus du sol champêtre de cette province agricole gembloutoise embaumait nos sorties de classe comme nos rendez-vous secrets.

Et dans ce kaléidoscope de réminiscences, nous plongeons au cœur de l’intime à travers l’amour d’enfance de Claude Rappé, les premiers baisers, les premiers mots d’amour, les rendez-vous secrets et le premier « je t’aime »…

À la façon dont l’auteur parle de « sa Princesse », nous comprenons rapidement que certaines émotions n’ont pas été érodées par le temps, que cet amour-là a eu un écho singulier dans la vie de l’homme et pour cause, l’écolière a offert un cadeau inestimable à un jeune Claude en perdition : elle lui a donné sans condition et avec fougue son amour tout entier et lui a donné par la même occasion la possibilité de croire en lui grâce à la découverte de l’amour vrai. Malheureusement, cette première relation amoureuse n’a pas pu perdurer à cause de la pression familiale et on palpe la blessure non refermée d’un homme qui revient à l’aube de ses soixante ans, tel un chien sans collier, sur ses lieux d’enfance pour retrouver la trace de son amour perdu.

L’intérêt de L’écolière ne réside pas tant dans le contenu que dans le regard de Claude Rappé sur son histoire, lui-même et ses proches. Un regard tantôt nostalgique, tantôt amer, toujours authentique, où l’on entre en contact avec une blessure encore vive face à un amour qui a obsédé l’auteur sa vie durant, qui a hanté son sommeil et apporté un peu de douceur aux moments âcres de la vie.

On découvre en parallèle une rancœur manifeste de l’auteur vis-à-vis de sa jeunesse empreinte d’une éducation religieuse stricte, une vie sacrificielle au service de la religion parentale, mais qui n’aura pas apporté à Claude ce dont il avait réellement besoin : l’amour, tout simplement. Car il n’est question que de cela, au fond : loin des versets bibliques et des vérités affirmées sur l’amour, l’auteur explore la profondeur de ce sentiment transcendant et pleure dans ce récit intime thérapeutique son « rivage imaginaire » pour mieux le rattraper ou du moins le faire exister (« Elle a été mon ange et je lui ai brisé les ailes. Je l’ai tuée avec une lettre et je tente vainement de la ressusciter avec un livre »).

Séverine Radoux