Isabelle WÉRY, Poney flottant, Postface de Charline Lambert, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2021, 250 p., 9 €, ISBN : 978-2-87568-539-1
Un dossier pédagogique est téléchargeable gratuitement
Coincée dans un lit d’hôpital par un coma sévère juste rythmé par le bip bip des machines, Sweetie Horn, septante ans et autrice de polar célèbre, voit ses neurones flottants la ramener à son enfance.
Née d’un couple “actif avant le mariage”, petite-fille d’un fermier Angliche fort comme un viking dont elle est bleue (un sentiment mutuel), elle était cette gamine à la langue agile et déboutonnée qui se comportait comme une princesse féroce en son royaume rural. Elle était d’ailleurs persuadée que viendrait vite le jour de ses 12 ans, où on la gratifierait d’un cheval, destrier qui siérait à son rang de conquérante-née. Mais un drame terrible ébranle soudain son monde : son grand-père chéri décède prématurément. La voilà désormais non seulement incapable de grandir, mais surnommée Poney par la Grand-Mère revancharde pour qui elle n’a jamais elle-même éprouvé la moindre compassion. Entre une adolescence aux hormones en pagaille et des moments de désespoir, heureusement qu’il y le cousin Francky et les rêves de la Spagna, où se réinventer semble possible.
En 2018, lors de la première publication chez ONLIT de ce texte d’apprentissage effronté et généreux par tous ses pores, nous nous laissions aller à la rêverie pour Focus: “Et nous voilà à fantasmer d’entendre Poney flottant, roman giboyeux en loopings et scènes de résistance, restitué à voix haute par des « lèvres de bouche » et disséminant à tout va le moindre de ses sucs”.
À l’automne 2020, ce que nous pressentions comme potentiel scénique enthousiasmant pour ce troisième roman d’Isabelle Wéry (après Monsieur René chez Labor, puis le très salué Marylin désossée, Maelström en 2013) a littéralement pris vie sur la scène du 140 (en co-production avec Passa Porta). L’autrice-comédienne, en Sweetie Horn décapante, était accompagnée pour l’occasion par une scénographie de Marcel Berlanger et la musique en live d’Orphan Swords (Yannick Franck et Pierre de Mûelenaere, par ailleurs premier éditeur du texte). Visionner en public – même à distance respectable/respectée – ce « Coma augmenté » (sous-titre du texte – qui dit aussi sa prédisposition à sortir du seul cadre du livre) où le corps occupe tout l’espace et où la sensorialité est reine des souvenirs liquides de Sweetie engluée dans ses limbes ? Voilà qui avait tout d’un pied-de-nez frondeur à la situation pandémique.
Dans sa très enthousiasmante postface à cette réédition en Espace Nord, Charline Lambert interroge avec minutie la temporalité diffractée et la duplicité du roman (Sweetie dans le coma VS Poney en pleine éclosion adolescente), la question de la conscience de soi (y compris dans le coma), la prédominance du corps et de la libido (en n’hésitant pas à convoquer Bataille et sa conception de l’intensité), la zone poreuse entre humanité et animalité et la foisonnante multiplicité des langues et des registres. Autant de balises éclairantes qui disent l’élasticité et la richesse de l’univers d’écriture d’Isabelle Wéry – adoptez donc à votre tour Poney Flottant, créature fantasque d’une joyeuse troupe de personnages qu’on espère en expansion.
Anne-Lise Remacle