Au pays de l’art noir…

Nicole THIRY, Mea culpa, Murmure des soirs, 2021, 326 p., 20 €, ISBN : 978-2-930657-66-0

Le Pays noir et sang

thiry mea culpaCharleroi, dès les premières pages, est renvoyé aux clichés noirs et blancs, noirs surtout, dont il tente d’émerger. Un meurtre. Ou, plutôt, un triple meurtre. Une abomination. Une sculpture a été abandonnée, un « assemblage » artistique composé à partir des fragments de trois cadavres dépecés, étripés :

À la base : six pieds ancrés dans un socle de plâtre, coupés juste sous les genoux et disposés en hexagone. Sur les mollets : les trois torses des victimes, en triangle, tronçonnés du haut de l’aine au ras du cou, exempts des bras. 

Sur les rails ?

Un départ classique. Un tueur en série. Un arrière-plan biblique et satanique. Une équipe de la criminelle qui s’échine à démêler les convergences, à mettre en lumière les indices, tout en se heurtant aux réticences des milieux investigués, à l’impatience des médias, aux limites des témoignages.

Un départ très classique même, dans la lignée de nombreuses séries télévisuelles, où l’intrigue policière tend à dériver vers le jeu d’équipe. Ensemble Cast ?  Il est vrai que l’équipe, ici, est particulièrement contrastée et signifiante. Jusqu’à offrir un modèle réduit d’une société belge multiculturelle ?

Sous les projos

L’équipe des enquêteurs. Marine Chardon, la « cheffe », récemment détachée, commentée, discutée. Physique avenant mais caractère trempé, elle a fort à faire pour canaliser les préjugés d’Henry Jonckeer, des allures de repoussoir, à l’égard de ses collègues diplômés Luna Masetti (femme), Filip Verbeek (Flamand) et Mehmet Aljahouzi (Arabe).

Une juxtaposition de registres

Mea culpa se lit aisément et agréablement, malgré une certaine hybridité.

Côté écriture, la phrase de Nicole Thiry est souvent simple et fluide, mais parfois un peu revêche ou, a contrario, précieuse (avec un recours généreux aux adjectifs et adverbes) :

Un soir pourpre et bleuté tombait doucement dans le murmure paresseux du vent dans les arbres.

Côté techniques narratives, on peut apprécier la manière dont l’autrice insinue les pensées des protagonistes dans le corps du texte, jusqu’à nous faufiler dans leur intimité, mais regretter des dialogues trop longs et peu naturels à l’occasion. Comme on peut noter la numérotation décroissante des chapitres mais s’étonner de son manque d’impact.

Côté fond… On entame le roman comme un policier, un thriller. Un premier indice dirige vers l’armée (un rectangle, apparu sur la peau des victimes post mortem, renvoie aux plaques militaires), une deuxième salve macabre vient accélérer le pouls des investigations, l’urgence d’aboutir. Mais le lecteur a rapidement le monstre dans son viseur et l’action, dans un premier temps, nous échappe, filigranée entre les scènes initiales distillées par Nicole Thiry.

L’essentiel, dans Mea culpa, se situe-t-il ailleurs ?

Il y a la radiographie sociologique, un parfum de roman de mœurs inscrit dans un décor original, le Grand Charleroi, de l’immigration italienne et des terrils, des dérives populistes (rumeurs et amalgames) et sociales (chômage, alcool, marginalisation des êtres et des lieux).

Il y a la portée symbolique des policiers et leur progression en cours de récit, l’interaction qui les construit. À commencer par Marine. Qui peine à s’affirmer comme femme à responsabilités. Trop souvent réduite à un lieu commun mais y versant elle-même à l’encontre de la gent masculine… alors qu’elle est inexorablement attirée par Filip.

In fine, le thriller reprend ses droits, l’aventure se déploie plus largement, le suspense se tend.

Au-delà de l’arc-en-ciel

Dans les marges du récit, l’autrice opère de nombreuses distorsions, qui soufflent un vent décapant d’originalité et d’humanisme. Elle s’ingénie à renverser les clichés : un Arabe est timide, titulaire d’un master et aime travailler sous les ordres d’une femme ; une autre femme est experte ès technologies modernes ; un Flamand est particulièrement raffiné ou capable de s’affranchir d’une autorité, etc. Elle ose aussi introduire une dimension magique au cœur d’investigations basées sur l’analyse scientifique et la déduction, l’observation. Marine, métisse, possède une intuition de l’ordre de la voyance, elle se refuse à l’admettre, mais ce don propulse l’enquête, la connecte à ses racines africaines mais au meurtrier aussi. Pour le meilleur et pour le pire…

Conclusions ?

Mea culpa est un roman qu’on entreprend avec appétit pour certaines raisons mais qu’on termine avec plaisir pour d’autres. Nicole Thiry est une autrice qui cherche, qui promet donc.

Philippe Remy-Wilkin