Céline DELBECQ, À cheval sur le dos des oiseaux, Lansman et Rideau de Bruxelles, 2021, 60 p., 11 €, ISBN : 978-2807103153
Carine Bielen, la cinquantaine, vit dans un centre avec Logan, son fils qui ne bronche pas de la journée, mais hurle parfois la nuit. La seule manière pour Carine de calmer ses terreurs nocturnes est de se blottir tout contre lui. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez cet enfant ? Carine se livre avec ses mots simples et maladroits, mais toujours francs. Elle raconte qu’elle aime bien boire un petit coup de rouge le soir, une fois que le petit est couché, voire un peu plus les soirs de grand vent. Le vent charrie trop de bruits inquiétants, voire d’idées noires… Elle évoque la manière dont Logan a été conçu, un soir passablement éméchée, avec un copain de comptoir de L’auberge. Elle digresse beaucoup et expose tout l’amour qu’elle porte à son fils. Cet enfant qui aime les oiseaux, tout comme elle.
Enfant, elle s’imaginait voler à cheval sur leurs dos. Elle revient sur son enfance dans un milieu très précaire, où faute d’avoir assez d’argent pour nourrir tous les enfants, elle a été envoyée à dix ans, avec deux de ses frères et l’une de ses sœurs, dans un home pour handicapés. Depuis, on l’a toujours considérée comme une arriérée. Elle est d’ailleurs sous tutelle. Carine raconte la honte qu’elle ressentait quand elle revenait chez elle, dans la crasse et la misère. Elle se souvient aussi de cette chanson de Gérard Manset, Il voyage en solitaire, qu’elle chantait à son petit frère Patrick quand il avait peur la nuit et bien avant qu’un malheur ne s’abatte sur lui.
On comprend dès le départ que quelque chose ne tourne pas rond. Il y a une certaine tension. On est aussi rapidement sous le charme de ce personnage, une figure simple qui n’a comme arme que sa franchise, qui nous fait entrer sans aucune pudeur dans son intimité. Une personne avec toutes ses faiblesses qui essaie pourtant d’être une bonne mère. Face à elle, on imagine comme interlocuteur un juge, une personne de pouvoir qui tient son destin entre les mains.
Dans la lignée de sa pièce L’enfant sauvage, Céline Delbecq scrute, dans À cheval sur le dos des oiseaux, les âmes et rend hommage aux « petites gens » en mettant en scène un personnage populaire dont le destin semble brisé. À travers cette fiction baignée par le réel, elle met à jour les failles d’un système qui écarte les personnes qui ne répondent pas aux « normes ». L’autrice utilise un langage simple et nous transmet brillamment cette voix. Les mots sont tout ce qu’il reste à Carine. Certains caractères spéciaux permettent de symboliser le silence, très présent dans le texte. La narratrice cherche ses mots à plusieurs reprises, se perd dans ses souvenirs, réfléchit. La pièce a été créée en mai 2021, dans la cour d’une école ixelloise près du Rideau de Bruxelles, dans une mise en scène de Céline Delbecq elle-même et interprétée par Véronique Dumont.
Émilie Gäbele