Un coup de coeur du Carnet
Céline DELBECQ, L’enfant sauvage, Carnières, Lansman, 2016, 36 p., 10€
Comme tous les vendredis, un homme traverse la place du Jeu de balle avec ses collègues pour aller déguster un bon stœmp chez Josiane. Un môme qui crie arrête son regard. L’homme s’approche et essaie, avec d’autres passants, de savoir où sont les parents de cet enfant, comment il s’appelle… Le gosse ne répond pas. Seuls d’horribles beuglements sortent de sa bouche. Il se débat et se mord le bras. Un type réplique que « c’est un enfant sauvage qui cause la langue des bêtes » et qu’il n’y a rien à faire. Alors que les badauds poursuivent leur route, l’homme ne parvient pas à quitter ce petit être. Il appelle les flics et les attend avec lui. C’est ainsi qu’il se rend compte que le gamin est une fille. Il l’appelle Alice. Cette dernière semble se calmer en sa présence. Il décide de la prendre sous son aile.
Comme on ne retrouve pas la trace de ses parents, la petite est envoyée à l’hôpital, en attendant de trouver une place dans un home. Les homes, c’est pour les vieux ou les personnes handicapées, non ? Pas pour les gosses ! L’homme ne se fait pas à cette idée et, aidé par l’assistante sociale, il se porte garant pour accueillir Alice chez lui, le temps que l’enquête suive son cours. Après une longue première procédure, lui qui a toujours vécu seul accueille la petite et lui installe un nid douillet dans un coin de son petit appartement. La gosse n’est pas facile à apprivoiser. Elle se comporte parfois comme un animal et fait assez fréquemment des crises d’épilepsie. Mais peu à peu, la confiance s’installe, ils apprennent à communiquer. Chaque soir, l’homme regarde le journal télévisé dans l’espoir qu’on parlera d’Alice car une histoire pareille n’arrive pas tous les jours, non ? Rien à faire, les médias restent indifférents face à cette kyrielle d’enfants abandonnés, placés, ignorés. L’enquête finit par dévoiler le passé tragique d’Alice, orpheline par sa mère, battue, non reconnue. Une place dans un home se libère. L’homme doit accepter de la quitter. Mais il n’a pas dit son dernier mot et, malgré une nouvelle série de dossiers et procédures, poursuit cette longue route pour obtenir sa garde.
Ce monologue, comme un cri déchirant à travers la nuit, est certainement l’un des plus beaux et puissants textes de Céline Delbecq. Elle aborde une réalité trop peu connue, celle de ces enfants qui, placés par le juge, attendent une place dans une famille d’accueil. Les homes sont saturés. L’écriture et la mise en scène de cette pièce ont été l’occasion de développer un projet social et solidaire pour trouver des nouvelles familles d’accueil. De nombreuses Alice attendent d’intégrer un foyer heureux. Céline Delbecq évoque cette triste réalité sans jamais tomber dans le pathos ni dans la caricature. La jeune fille ne prend d’ailleurs forme qu’à travers les paroles du narrateur. Ce dernier est un personnage sublime, tant il est simple, vrai, brut de décoffrage, tant son cœur est pur. Un homme qui ne se formalise pas de dossiers et de circonlocutions en tout genre. Un homme qui parle le langage du peuple – merveilleusement retranscrit par la simplicité et le style de l’écriture -, qui va droit au but, qui dit toujours ce qu’il pense, puis surtout qui est d’une tendresse absolue. Un homme qui a décidé d’aimer une parfaite inconnue dont personne ne voulait. L’enfant sauvage est un texte bouleversant et utile qui montre ô combien notre société souffre de nombreux dysfonctionnements.
Émilie GÄBELE