Francis Delpérée l’éclaireur

Francis DELPÉRÉE, Les crises de gouvernement, Académie royale de Belgique, coll. « L’Académie en poche », 2020, 150 p., 7 € / ePub : 3.99 €, ISBN : 978-2-8031-0762-9

delperee les crises de gouvernementDans le paysage des études juridiques, le nom de Delpérée sonne comme une antonomase pour le terme « constitutionnaliste », tant son expertise dans ce domaine est chevillée à sa personnalité. À défaut d’être médiatique, l’homme est médiatisé : combien de fois n’est-il pas apparu au JT, afin d’évaluer un point de realpolitik à l’aune du texte fondateur de notre État ? Mais Francis Delpérée s’exprime davantage encore à l’écrit. La bibliographie qu’il a la modestie d’afficher ne reprend que ses principaux ouvrages, publiés ici dans la collection « Que sais-je ? » des Presses Universitaires de France, là chez Bruylant ou Racine. Prise dans son exhaustivité, elle est considérable.

Depuis quelques années, le professeur émérite s’est donné le temps de rédiger des synthèses tirées au cordeau sur des concepts-clés la politique belge. Dans la série de ces petits ouvrages, on rencontre ainsi J’écris ton nom, Constitution, L’État Belgique et Le roi des Belges. Autant de modes d’emploi – genre littéraire éminemment complexe – dénués de cette technicité jargonnante qui rebuterait d’emblée le profane, et qui informent complétement leur lecteur sur le sujet envisagé. Chaque phrase est fluide et pondérée, chaque page d’une appréciable lisibilité, chaque chapitre ciselé et cohérent.

C’est que Francis Delpérée a l’art du trait, pour plonger au cœur du problème envisagé ou en dessiner les contours. Son approche des Crises de gouvernement en apporte une nouvelle fois la preuve. Pire qu’ardu, le sujet peut apparaître comme monotone. Des crises, notre pays en aura compté cinquante-deux depuis 1945. S’agit-il de les passer en revue, de Pierlot V, en 1944, à De Croo (1er ?) en octobre 2020, pour les comprendre ? L’exercice serait fastidieux et stérile.

Qu’on se rassure… Francis Delpérée se souvient de l’avertissement lancé en 1968 par Vanden Boeynants à ce journaliste qui marchait à reculons devant lui : « C’est vous qui allez finir par tomber, pas moi ». Plutôt que de rebrousser chemin, il a préféré saisir en synchronie l’essence de la crise, en circonscrivant chacun des moments qui la ponctuent. De sa naissance à son règlement, le schéma est, sinon immuable, du moins prévisible : la démission, le renvoi ou la dissolution signalent sa pleine éclosion ; la gestion se mène entre rupture et continuité, au fil des pourparlers qui s’engagent ; la confiance se restaure, de nouvelles perspectives doivent enfin être tracées.

Si perturbante soit-elle, la crise « ne saurait pour autant faire perdre la raison ». Les vertus majeures pour la surmonter demeurent la lucidité et la prudence. Elles ne suffisent hélas pas. Le propos évolue d’analyse en propositions concrètes, basées sur des constats : dans la Constitution, les dispositions pour régler les crises gouvernementales sont rien moins que « squelettiques ». « À quand un code des procédures de crise ? » se demande Francis Delpérée, qui soutient également les nécessités de mieux tenir compte du contexte électoral dans lequel chacune se situe, d’établir un calendrier politique plus strict.

Des exemplaires de cet essai sont à envoyer d’urgence aux coutumiers du fameux numéro « 16 » qui s’affiche sur sa couverture. En plus de leur délivrer un trésor de prescriptions à considérer, elle leur rappellerait que la politique, c’est aussi un exercice de style.

Frédéric Saenen