Tempera sur papier à la crête du sens

Un coup de cœur du Carnet

Otto GANZ, Prière de l’exaltation, MaelstrÖm, coll. « 414 », 2021, 16 €, ISBN : 978-2-87505-390-9

ganz priere de l'exaltationAffaire de maîtrise que
cette pureté dont l’existence
ne se retrouve qu’à l’état sauvage

la lumière brute frappant
droite ligne affleurée au
revers du thorax et des paumes
 

Encres, gouaches, acrylique, café, liquides organiques émulsionnés : à l’instar de la technique de la « tempera » utilisée avec ces matières pour le dessin d’Otto Ganz reproduit en liminaire au recueil Prière de l’exaltation, le verbe du poète détrempe les contorsions du monde, en délaie les spasmes et les larmes. La langue d’Otto Ganz navigue à vue, du « voir » à la « voix », du « goût » à la « goulée plus âpre », en émondant l’amas des illusions.

Véritable traversée jusqu’à la crête du sens que cette Prière de l’exaltation, sous-tendue par la longue-vue typiquement ganzienne : le poète plonge autant dans les désastres auxquels conduisent la suffisance et l’orgueil qui châtrent l’humain que dans les débris de leurs provisoires scintillements. Quelque chose de visionnaire et de prophétique sourd de la poésie d’Otto Ganz, le rendant si singulier au sein des Lettres belges ainsi que l’écrit Werner Lambersy dans la postface au recueil : « Avec Otto Ganz, on est devant l’inévitable, […] l’incontournable défi de vivre et de mourir qui est de l’ordre du jouir, de la sentence et du jeu. »

À chaque page, un point de bascule ou de rupture emporte la langue. Aussi n’est-il pas anodin que le recueil se construise alors (à l’exception des deux dernières pages) en une succession de deux tercets marqués, et pour la plupart scandés au départ par la reprise d’une formule qui éprouve au fil du recueil une certaine modulation : « pleure dit-elle oui pleure », « supplie dit-elle », « implore dit-elle implore oui »,…

Chante dit-elle chante oui
chante faux mais chante puisque là
se confondent humains et corbeaux

ton chant qu’il s’étrangle ou
renâcle accouchera
au final de la joie
 

Vaste émulsion en effet que cette Prière de l’exaltation, puisque les goûts et les couleurs sont dilués au sein même des signifiants qui disent autant les ravages des écocides que la trahison de la parole quand elle ne se prolonge pas en chant. Véritable traversée jusqu’à la crête du sens que cette Prière de l’exaltation, où le sens, inaccaparable, s’échappe aussi loin que l’absolu puisqu’il ne tourne autour d’aucun nombril mais d’un ombilic commun : la parole, la merde, la tendresse – en d’autres termes, ce qui fonde sans doute notre curieuse incarnation.

Charline Lambert