Être un chant…

Werner LAMBERSY, Mémento du Chant des archers de Shu, Maelström, 2021, 57 p., 16 €, ISBN : 978-2-87505-391-6          

lambersy memento du chant des archers de shuEn écrivant quelque part que « tout ce qui entre dans le livret est chant », le poète-philosophe belge Max Loreau (1928-1990) définit le rôle qu’il assigne au poème. Un chant poétique donc qui impliquerait le désir d’appliquer au langage poétique une sorte de danse, de relief corporel par le truchement d’une mise en scène opératique. Une réflexion sur la mise en mouvement du rythme musical du poème qu’il convient de garder à l’esprit quand il s’agit d’aborder le continent que forme l’œuvre de Werner Lambersy.

On connaît l’impressionnante bibliographie de ce dernier et les multiples sources auxquelles elle puise dans les « chants » des littératures mondiales. Son nouvel opus, Mémento du Chant des archers de Shu, s’enracine ici dans la tradition chinoise en reprenant le titre et le thème d’une mélopée de la fin de la Dynastie chinoise Yin, le « Chant des archers de Shu ».

Dans sa postface, Otto Ganz rappelle le libre travail d’interprétation qu’avait réalisé à partir du même topos le poète Ezra Pound dans le recueil Cathay publié en 1915. Ajustant son carquois dans le sillage des flèches des archers, Lambersy reprend et relaie d’une certaine manière le tir du poète-musicien américain, à l’unisson des Cantos, en musique de fond, dont on sait qu’ils font partie assurément de la bibliothèque intime de l’auteur d’Anvers ou les anges pervers. C’est donc sur le ton, désenchanté mais confiant et serein, du memento mori que s’ouvre le recueil. Au désastre du soleil finissant (« l’autodafé des astres »), le poète oppose les joies de ce qui fut, plein du rire des « cuves et des amphores », les plaisirs et « la splendeur des coquelicots » qui firent les matins. La poésie de Lambersy rassure quand elle ranime l’hymne vital que nous oublions trop souvent et dont la rengaine remémorée suffit à renouveler l’écho ancestral sous des étoiles nouvelles.

Quand
L’estrade provisoire de la compagnie
Nomade
Des galaxies verra démonter le décor         
Et partira
Ailleurs pour jouer en des territoires
Nouveaux
Nous ne serons plus là !
Depuis le temps immémorial de ces
Poèmes et des aèdes !

La poésie de Lambersy relie les hémisphères, renouvelle les cadences dont nous fûmes les témoins sinon les acteurs. Elle est aussi et peut-être avant tout chant des corps où s’ « encre » le sel de la mer, dans « les limites territoriales de la peau ». Ontologiquement nomade, le poète est ici ce guerrier Shu, de retour de campagne, déraciné, déboussolé mais arrimé à sa flèche, sa plume comme à un mât de misaine. De ses secrets, de ses aveux de débandade, il restera encore l’onde du chant des gorges et des pistes, l’arc vocal des cordes usées mais vivantes de leur vibration.

Être un           
Chant que le vent et la pluie ont
Charge
De porter plus loin que l’oreille         
Proche

Le poète devient le chant qu’il porte, s’efface devant lui, chantre des voix aimées qui se sont tues par absence de lumière,

Quand
Le soleil aura usé son silex contre
Le bois d’ébène de la nuit
Nous ne serons plus là mon amour !         
Mais nous aurons chanté
Dansé bu ri et loué de n’être plus là

Rony Demaeseneer