Adieu Francis

Francis Dannemark

« Un jour, amis très chers, nous n’aurons plus rien à nous dire et même moi, le grand bavard, je me tairai, mais faut-il déjà commencer et s’en tenir à la musique des mots qui coule seule comme la rumeur du fleuve ? » (Francis Dannemark, Choses qu’on dit la nuit entre deux villes). Sur un ton apparemment léger s’engrènent ici quelques thèmes de prédilection : grand prix donné à l’amitié, place vitale de la parole, fuite conjuguée de l’eau et du temps, poésie-musique plutôt que poésie-pensée, sans oublier ce penchant à philosopher en douceur… En leur versant poétique comme en leur version romanesque, Dannemark n’a cessé de reprendre ces préoccupations et quelques autres, de les explorer, de les réinterpréter, finissant par convaincre le lecteur de leur extrême importance – qu’il ne démontre pourtant jamais.

Son appréhension du monde est constamment nostalgique, mais l’objet de cette nostalgie est variable, imprécis. Ouvrons le recueil Les eaux territoriales, le roman Mémoires d’un ange maladroit ou l’anthologie La longue course : y reviennent en réminiscences le jazz, les livres de F.S. Fitzgerald et de la Beat-generation, le cinéma américain des années 50, les films de W. Allen, les poèmes de J. Keats, à quoi s’entremêle le souvenir ému de jeunes femmes successivement rencontrées.

Cette prédilection pour la musique, les entrevisions échues, la culture américaine, la fiction romanesque, la poésie, le « vintage », ne procède pas d’un choix rationnel et délibéré. Francis Dannemark, qui a commencé à écrire son premier roman dès douze ans, est d’emblée foncièrement allergique aux contraintes bureaucratiques, à la routine professionnelle, à l’isolement social. Nombreux, heureusement, sont les livres, les airs de musique, les images artistiques qui lui donnent ce que le monde réel lui refuse. Prolongeant la soif d’échanges et de liberté chère aux adolescents, il trouve dans l’écriture la seule forme d’activité régulière qui lui soit supportable – et qui de plus l’aide à supporter les difficultés de la « vraie » vie. Car, si l’on y réfléchit bien, même les circonstances apparemment les plus ordinaires et les plus simplistes peuvent se révéler redoutables ou merveilleuses. Aussi faut-il sans cesse guetter l’inattendu dans l’insignifiant. Si l’amertume n’est pas absente des livres de Francis Dannemark, elle reste toutefois discrète, comme étouffée par un désir constant de charmer, de multiplier les raisons d’espérer, de faire confiance à la vie malgré tout. Poésie et fiction comportent chez lui, en ce sens, une fonction consolatrice. Mais au fait, ses livres vont-ils vraiment nous consoler de son départ ultime le 30 septembre 2021 ?

Daniel Laroche